[INTERVIEW] Joseph Incardona présente son roman Les Corps solides
Les tous premiers romans de la rentrée littéraire commencent à arriver en librairie. Parmi les 490 romans qui sortiront cette année, nous vous avons dévoilé notre sélection de coups de cœur de la rentrée littéraire française.
Pendant toute la durée de la rentrée littéraire, nous vous proposons de découvrir chaque semaine une interview exclusive pour CulturaLivres de l'un des auteurs de notre sélection de coups de cœur.
 
Nous continuons de découvrir les auteurs de cette rentrée littéraire avec Joseph Incardona, l'auteur de Les Corps solides. Plongez dans cette satire sociale passionnante et intrigante. Comment lui viennent ses idées ? Quel est son processus d'écriture ? Découvrez les secrets du dernier roman de Joseph Incardona.
 
@Sandrine Cellard@Sandrine Cellard
  • Pouvez-vous présenter votre roman pour les membres qui ne l’ont pas (encore) lu ?
Les corps solides
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En guise de préambule, je peux dire que c’est seulement une fois le roman terminé que je mesure exactement la portée de sa thématique. Cette mise à distance me permet de voir précisément ce que j’ai voulu dire. L’intuition du départ s’affine et s’affirme en cours d’écriture. Le regard s’aiguise, le cadre général se révèle.
Les Corps solides est un roman sur la dignité. Celui d’une femme, Anna, qui va devoir lutter pour ne pas perdre le peu qu’elle possède et préserver son fils des revers du quotidien. Mais cela sans misérabilisme, sans pathos inutile et sans complainte. On est dans le réel, le contingent. Cette héroïne est l’une d’entre nous, elle ne possède rien d’extraordinaire, sinon la volonté d’aller jusqu’au bout d’une situation (elle, peu commune pour le coup !) dans laquelle elle se retrouve entraînée et prise au piège malgré elle. Il s’agit d’un jeu télévisé auquel elle n’a pas d’autre choix que de participer, et qui consiste à toucher une voiture sans jamais la lâcher. Le dernier concurrent restant gagne un pick-up d’une valeur de 50'000 euros…
Les Corps solides aborde un de mes thèmes de prédilection, celui des perdants magnifiques : l’individu à la confluence du fatum et du tragique, sa lutte pour sauver sa dignité et l’affirmation de soi. Il arrive parfois, dans le parcours d’une vie, que ce soit tout ce qu’il reste à sauver. Mais c’est un objectif de taille.
 
Ce que @JG69 en a pensé : " Avec son style inimitable où il interpelle parfois ses personnages ou le lecteur, Joseph Incardona nous offre une lecture additive, une histoire très romanesque, un roman au rythme soutenu avec des dialogues très réussis et de bons sentiments sans aucune mièvrerie. La dignité d'une femme face au cynisme d'une époque où tout s'achète. Grandiose !  Un auteur dont l'humanité et la bienveillance transparaissent à chacun de ses romans."
Découvrez l'avis complet de @JG69 
 
  • Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire cette satire sociale ?
Comme il m’arrive souvent, tout est parti d’un fragment, un bout de réel : cela peut-être une phrase lue ou entendue, une image, un individu croisé dans la rue dont un détail retient mon attention. Ce fragment s’installe, perdure, grandit. Les éléments essentiels de l’histoire s’élaborent au fil du temps, parfois presque à mon insu. Et il arrive un moment où l’histoire doit être écrite, son temps arrive. En général, c’est quelques années plus tard ! Dès que j’ai trouvé l’adéquation entre la forme et le fond, je m’y mets. La seule condition est que l’histoire à écrire m’apparaisse comme nécessaire. Tout ce qui ne correspond pas à cette nécessité s’évapore par superficialité. On peut avoir dix idées de romans par mois, heureusement, la plupart s’en vont comme elles sont venues.
Pour Les Corps solides, c’est une discussion avec une amie vivant à Guatemala City qui a été l’étincelle. Elle me raconte cette anecdote : un concessionnaire auto dans sa ville qui, pour se faire de la publicité, organise un jeu où on doit toucher une voiture afin de la gagner. Lui-même s’est inspiré d’un concessionnaire Nissan ayant proposé ce même jeu quelques années plus tôt au Texas.
Alors, la question qui se pose est la suivante : qu’est-ce qui fait qu’une personne soit prête à s’humilier ainsi, à s’assujettir des jours durant à cette terrible épreuve de l’immobilité, où elle se soumet à l’objet lui-même ? Quand l’individu devient moins important qu’une chose, en l’occurrence une voiture, ce n’est pas anodin. La réponse est souvent la pauvreté, l’indigence et le besoin d’argent. Cela peut être aussi la bêtise et l’égocentrisme.
Dans les années 1930, aux États-Unis, après la Grande dépression, un tas de jeux de cet acabit ont fleuri un peu partout, des marathons de danse, d’autres défis tels que de rester accroché le plus longtemps possible à un poteau, par exemple…
C’est cela que j’explore dans ce roman, ce rapport entre le désespoir, l’humiliation et la dignité. Jusqu’où est-on prêt à aller pour de l’argent ? Pour survivre ?
 
  • Comment s’est passée l’écriture de ce nouveau roman ? Avez-vous un rituel d’écriture ?
Cela s’est fait en immersion, je l’ai écrit relativement vite, en huit mois. J’ai tenu à privilégier l’histoire avant tout, sa dramaturgie, sans distanciation personnelle par rapport à ce que vivent mes personnages, sans réflexions de l’auteur, sans détour…
Le seul rituel, si on peut l’appeler ainsi est d’avoir des horaires de fonctionnaire : en cours d’écriture, de création, je travaille de 9 à 13 heures ! Après, je perds l’élan et l’attention. Et puis, il faut nourrir la bête. Je ne fais jamais de plan. Le roman se construit au fur et à mesure. La gestation gravite de façon permanente autour des moments d’écriture. C’est de l’ordre de l’obsession. Et s’il doit y avoir un mystère ou un secret à l’écriture, il est dans ce temps-là. Et si ce mystère existe, moi-même je ne veux pas le connaître ni savoir comment évolue cette élaboration. En réalité, il n’y a pas tellement de mystère, il y a surtout du travail. Sans doute faut-il avoir cette propension à l’écriture, cette prédilection. Mais pour le reste, encore une fois, c’est du travail. Modeler la forme, trouver sa propre voix, tout ce que peut espérer un écrivain.
 
  • Primo Levi disait "J'écris ce que je ne saurais dire". Et vous, pourquoi avez-vous choisi de devenir écrivain ?
 
Je dirais que c’est quelque chose qui s’est imposé à moi. Je sais, ça paraît un peu pompeux, mais je ne saurais le dire différemment. Ayant été un enfant solitaire, je me suis construit des mondes dès l’enfance, ces moments où l’on joue, où on est multiple, où on ne cesse de créer des alternatives à la réalité. Et puisque je viens d’une famille modeste, j’ai coutume de dire que l’écriture est l’art du pauvre. Vous n’avez besoin de rien d’autre que de vous-même et de vous mettre au travail. Aucune infrastructure est nécessaire, aucune étude particulière ni de conservatoire, aucune école. J’aime l’idée d’être autodidacte, l’empirique et l’expérience façonnant la création. C’est comme la course, le sport le plus simple qui soit. Il suffit de chausser ses baskets et d’y aller. Après, il faut y aller chaque jour, jusqu’à cela constitue votre vie et détermine votre existence.
 
 
  • Que représente la rentrée littéraire pour vous ?
En réalité, après 20 ans de publications, c’est ma première rentrée de septembre. Ce n’est pas celle de janvier ou de mars, les enjeux sont différents, tout est exacerbé par les prix prestigieux qui planent comme un Graal ou une fatalité au-dessus de nos têtes d’écrivains ou d’éditeurs. J’ai toujours eu une attitude humble vis-à-vis de mon métier en général, et de cette rentrée d’automne en particulier. J’estime qu’il faut un certain bagage d’expérience et bénéficier d’une frange de lecteurs prêts à vous suivre avant de s’y frotter. Avec mes éditeurs Thierry et Emmanuelle (Finitude), on a pensé que le moment était venu de pouvoir s’y risquer après ma dernière parution en 2020, La Soustraction des possibles.
Pour conclure, je dirais que j’aborde cette rentrée à la fois avec une belle énergie, de la curiosité, mais aussi avec une certaine anxiété, je ne le cache pas. Espérer que ce roman trace sa route, émerge parmi les centaines publiés entre fin août et début septembre. Qu’il retienne l’attention indispensable des lecteurs, libraires et journalistes. C’est sans doute l’aspect le moins romantique du métier, mais non moins réel.
 
 
  • Avez-vous un récent coup de cœur à partager aux membres de la communauté CulturaLivres ?
La grande course de Flanagan de Tom McNab, écrit en 1982 et réédité en poche chez J’ai Lu. Le hasard fait que la thématique de ce roman est proche de celle des Corps solides : l’idée folle, dans les années 30, de proposer à des concurrents de traverser les États-Unis de Los Angeles à New York en courant. La fameuse première Trans-america de 5063 kilomètres est courue encore aujourd’hui…
 
Avez-vous déjà lu Les corps solides ? Qu'en avez-vous pensé ?
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