La rentrée littéraire a débarqué dans vos magasins Cultura. Pendant toute la durée de la rentrée littéraire, nous vous proposons de découvrir chaque semaine une interview exclusive pour CulturaLivres, découvrez également Les amants du Lutétia d'Emilie Frèche et Chaleur humaine de Serge Joncour et Les dragons de Jérôme Colin.
Découvrez le nouveau roman de Sylvain Prudhomme, L'enfant dans le taxi. Un roman qui nous plonge dans une réflexion sur l'amour et la séparation au travers des mystères d'une famille.
Un grand merci à nos collaborateurs Cultura, David et Aurore pour avoir proposé les questions de cette interview.
Le livre commence d'abord loin de la France et de notre époque, avec une scène d'amour entre un soldat français et une jeune femme allemande au lendemain de la capitulation allemande de mai 1945. C'est le récit d'un amour interdit, entre jeunes gens « ennemis » qui décident malgré tout de le vivre, dans l'euphorie de la fin de la guerre. Puis le roman opère une brusque ellipse : on se retrouve deux générations plus tard, à l'enterrement du grand-père Malusci (qui bien sûr n'est autre que le soldat d'autrefois) raconté par son petit-fils Simon. Et d'un coup surgit ce secret qu'un oncle vient souffler à l'oreille de Simon : Malusci et « l'Allemande du lac de Constance » ont jadis eu un fils, M., que Malusci n'a jamais voulu reconnaître et qui vit toujours là-bas, à l'insu de tous. En pleine séparation d'avec la mère de ses enfants, confronté à la solitude d'une nouvelle vie, Simon se sent aussitôt comme « appelé » par M., en pleine empathie avec son destin. Il entame une longue enquête, qui va le conduire jusqu'en Allemagne. Qu'est devenu M. ? Comment s'est-il tiré de l'abandon qu'il a dû endurer ? Étant évident qu'à travers M. Simon cherche aussi des réponses pour lui-même, dans un jeu de miroirs qui est le cœur du livre.
Résumé : « Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui. »
J'ai voulu interroger les silences familiaux, questionner les raisons qui dans toute famille poussent certains à désirer la vérité, d'autres au contraire à la redouter. J'ai voulu écrire aussi sur ce qui se transmet d'une génération à la suivante, parfois inconsciemment, qu'il s'agisse de secrets bien gardés ou au contraire de scènes « légendaires », fantasmées parfois pendant des générations, comme ici la scène originelle d'amour de Malusci et de « l'Allemande du lac de Constance ». C'est un livre qui parle aussi des liens amoureux à travers le temps, ceux qui durent, ceux qui se défont, ceux qui même défaits continuent de perdurer parfois jusqu'à la mort.
Il est écrivain comme moi, il a deux garçons comme moi, il enquête sur sa famille comme je l'ai fait. À part ça il ne faut chercher aucune ressemblance particulière ! Plus sérieusement, il me ressemble bien sûr, mais l'écart que j'introduis en l'appelant Simon et en en faisant un personnage de fiction à part entière est très important : c'est cet écart qui me permet de passer du réel « brut » à la construction d'un roman. Cela me redonne de la liberté, de l'audace narrative, de la distance par rapport aux faits. A partir de ce moment je n'ai plus le choix : je dois me décoller de Simon et en faire un vrai personnage, avec ses questions propres, sa quête à lui.
Le travail avec Thomas Simonnet est très important. C'est le premier lecteur de mes textes, un lecteur en qui j'ai une confiance immense. Pour un livre comme celui-ci la grande difficulté était de trouver la juste distance par rapport au matériau familial. J'étais face à une matière très sensible, à des faits douloureux. La première version était presque deux fois plus longue que la version finale. Ç'a été passionnant de resserrer peu à peu le livre, de choisir entre les trop nombreux épisodes du roman familial, de veiller à trouver la place exacte que je voulais voir Simon y occuper, au carrefour des récits que lui font les autres membres de la famille, sans pour autant qu'il les surplombe ni les juge jamais.
C'est le sujet du livre qui imposait ce ton intimiste. Dans la mesure où je m'inspirais d'autres vies que la mienne, il me paraissait indispensable de me risquer moi aussi à cette mise à nu plus grande que dans mes livres précédents. Comme s'il en allait d'une sorte d'équité, d'honnêteté vis à vis de ceux et celles dont je m'inspire. Ce ton est peut-être effectivement plus assumé qu'avant. Mais ce n'est pas la seule direction que je veux explorer. Le prochain roman ira sans doute chercher du côté d'une trame beaucoup plus fictionnelle. Ce sont deux voies opposées, qui demandent des formes de liberté différentes. Mais les deux m'intéressent.
C'est pour moi une dimension essentielle de l'écriture : écouter la « vie » du texte auquel je travaille. Ce n'est pas simplement une métaphore : au sens propre, le texte vit, c'est à dire qu'il nous surprend, nous conduit à prendre des virages inattendus, à avancer dans des directions imprévues, à prêter aux personnages des actes et des émotions qu'on n'imaginait pas au début. On découvre le texte à mesure qu'il s'écrit, très loin de tout plan trop précisément préétabli. Et ce faisant bien sûr on s'aventure dans des zones inconnues de soi-même – c'est ce qui rend les choses passionnantes.
Je lis et admire depuis toujours le catalogue des éditions de Minuit. C'est une profonde joie que L'enfant dans le taxi paraisse sous cette couverture. Je m'entendais merveilleusement avec Thomas Simonnet dans la collection L'arbalète, je n'avais en aucun cas prévu de changer de maison. Je n'ai fait que le suivre chez Minuit. Mais je dois dire que les livres de Claude Simon, Samuel Beckett ou Marguerite Duras m'ont toujours accompagné. Les éditions de Minuit sont un lieu unique, profondément associé dans mon esprit à la littérature que j'aime et admire.
Parmi les dernières lectures qui m'ont marqué, je dirais La mémoire délavée de Natacha Appanah (Mercure de France, 2023), dans laquelle l'écrivaine raconte magnifiquement l'arrivée de ses aïeux à l'île Maurice, il y a deux générations. J'ai également été très impressionné par La maison de la faim, chef d'oeuvre du zimbabwéen Dambudzo Marechera, traduit par Sika Fakambi, dont les éditions Zoé m'ont proposé, à ma grande joie, d'écrire la préface. Je peux aussi citer Alegria, de Manuel Vilas, écrivain que j'adore, aux éditions du Sous-Sol. Et pour parler d'un texte plus ancien que j'ai lu seulement cet été, je dirais Lune de loups, de Julio Llamazares, aux éditions Verdier, qui raconte de façon extraordinairement âpre et poétique la survie de Républicains espagnols réfugiés dans les montagnes après la fin de la guerre civile, traqués comme des bêtes par la police de Franco.
Alors, cette interview vous a t-elle convaincue de lire L'enfant dans le taxi ? Avez-vous déjà lu un livre de Sylvain Prudhomme ?
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