Je suis arrivée tard… Le train, longtemps, puis la voiture, longtemps… Longer les champs de blé dans la nuit noire, défiler les silhouettes décharnées… S’enfoncer au fin fond de l’obscurité… La voiture s’est garée dans la cour en faisant tintiller les graviers dans un bruit familier… Poser les valises, sans y croire… Être là, alors que mon fils fait sa première rentrée… Être là, comme étouffée…
En attendant je ne sais quoi, je suis allée faire le tour de l’étang… Reprendre ses marques, marcher dans tes pas… Marcher, oui, mais comme somnambuler… La silhouette du héron qui se découpe dans la nuit froide, c’est un fantôme. Il n’est pas vraiment là… Rien n’est vraiment là… Tout semble étrange, rien n’est réel… Rien n’existe vraiment… Rien ne peut exister, puisque tu n’es plus là… L’écorce séchée des vieux bouleaux, je ne la reconnais pas… L’odeur humide des sous-bois, elle n’existe pas… La nature, l’étang, tout ça… ça n’existe pas... Ça n’existe pas ! Tu n’es plus là…
Je refuse les paysages, les arbres, les champs…. Je ne veux pas les voir... Pourquoi devrais-je les voir alors que je ne te vois pas ? Ça ne peut pas être là. Je refuse ! Les arbres je les tronçonnerai, les feuilles je les brûlerai, les odeurs je les cracherai… plus rien n’existera. Le vide en moi engloutit tout, tout est néant, tout est foutu, on n’en sort plus… Tout s’est arrêté, tout est figé… Plus rien ne doit bouger… Jamais !
Le chant d’un engoulevent accompagne mes pas… C’est un cauchemar éveillé… Du bois pourri, des insectes écrasés… Je chemine dans l’obscurité… Je voudrais encore m’y enfoncer, y disparaitre à jamais… Mais là-bas on m’attend… 0n m’attend, du côté des vivants… Je reprends le chemin vers la maison mais chaque pas me pèse… Il va falloir faire semblant…
Sur le chemin du retour, je m’aperçois que les dépendances sont éclairées… Une lumière oubliée dans la trop grande clarté de la journée… Je m’accorde encore un instant… Je ne veux pas y retourner… Je fais le tour des pièces, j’ouvre tous les placards... Il faut vérifier que rien ne reste, faire le vide, tout fouiller... Je pousse la porte de la buanderie lentement… je ne supporterais pas de l’entendre crisser… C’est là que mon cœur s’est arrêté... Sur une vieille caisse en bois désarticulée, quelques mots au feutre indélébile... Ton écriture, simple, malaisée… Des lignes à ton image, rigides et enfantines sous un même trait... Quelques lettres sur du bois usé… Tu es là, encré à jamais…
Au revoir papa...
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