La grotte

   – Une fois en boule, attendez que l’humain s’approche. Lorsqu’il est à moins d’un mètre, relevez vous brusquement et hurlez en ouvrant grand la bouche !

 

   Lorsqu’il a bondi les bras tendus au dessus de la tête, nous avons tous sursauté de peur.

  

   Le professeur de chasse est aussi le chef de la tribu. Du haut de ses 3m75, il est de loin le plus grand spécimen de notre espèce. Il possède deux rangées de dents pointues et un torse poilu, énorme. Ses bras, d’une incroyable longueur, atteignent ses chevilles et se terminent sur des mains à 4 doigts puissants.

 

   Palou me fait signe de le rejoindre.

   – Bon tu fais l’humain, d’accord ?

   Il n’attend pas ma réponse et commence à replier ses jambes sous son ventre flasque. Avec beaucoup de difficulté, il place sa grosse tête entre ses genoux pour tenter de former le camouflage, en boule, espéré.

   Lorsqu’il ne bouge plus, le jeu de rôle commence. Je m’approche en sifflotant, les mains sur les hanches. Je suis maintenant juste à coté de lui. Palou entame son attaque sous l’œil impitoyable de Karl, notre chef.

 

   Chaque année, au mois de septembre, nous partons chasser pour approvisionner notre réserve de nourriture pour l’hiver. C’est au premier jour du mois, que nous, les Yétis nous sortons de notre hibernation pour giboyer.

 

   Je m’appelle Gil et je suis un Yéti végétarien. Il est très difficile de choisir de ne pas manger d’humain dans ma tribu. Tous les monstres des neiges sont des êtres féroces et sanguinaires, dont les noms des plus redoutables traversent les âges.

 

   Je vis dans une grotte non loin du sommet de la montagne. Pendant que les autres liment leurs dents ou s’entrainent à hurler, moi je cultive un autre monde. Ici, à des milliers de mètres d’altitude, je fais pousser différentes variétés de mousses, de lichens et de petites plantes vivaces.

 

   Le chef Karl se met à tambouriner farouchement sur sa poitrine pour marquer la fin du cours.

   – Gil, tu viens manger un morceau avec nous à l’Abominablius, ?

   – Non allez y sans moi, j’ai des trucs à faire.

   Il me salue, avale la morve qui coule de son nez et s’éloigne en courant.

 

   Je décide de descendre de la montagne à la recherche de nouvelles graines que je pourrais faire pousser dans la grotte. Le ciel est bleu et le soleil brillant. Quelques oiseaux sifflotent, tout est calme. Pourtant cette sérénité arbore un coté inhabituel et inquiétant. Je réfléchis à l’éventualité d’abandonner ma quête, de remonter au sommet, quand quelque chose se met à craquer derrière moi.

   Bon sang ! C’est un humain qui surgit à travers le bois ! Il se met à crier :

   – Aaaaaaaaaaaaaaaaah !

   Je suis pris de panique, je piétine en rond, les mains tenant mes cornes, je ne sais pas quoi faire. J’ai du mal à avaler ma salive, la bave coule le long des poils frisottés de mon cou.

   Je n’arrive pas à réfléchir, l’humain continue de crier :

   – Aaaaaaaaaaaaaah !

   Je décide de me de secouer la tête sauvagement pour retrouver mes esprits et de pousser un grognement libérateur :

   – Brouuuaaaaaarrrrgh !

   L’humain se fige. Il ne crie plus, ses yeux sont exorbités, il tombe raide, la tête la première dans la neige.

 

   Je le regarde. Il ne bouge pas. Je me gratte pour me débarrasser de la croute formée par le cérumen et tends l’oreille. Pas un bruit. Devant cet humain inconscient, je choisis de m’approcher sur la pointe des pieds et entreprends de le retourner sur le dos. Le vent s’est maintenant levé et le grondement de la montagne annonce un danger imminent. Ni une ni deux je décide de le ramener à la grotte.

 

   La mousse permet de camoufler le corps de l’humain que je colle à grandes flopées de bave pour une meilleure adhérence. Je le charge sur mon dos.

La remontée est laborieuse avec ce vent qui me fouette le visage. J’aperçois bientôt la grotte. Le soulagement est de courte durée puisqu’une immense avalanche fait son apparition, dégringolant à tout allure, elle nous emporte instantanément dans un tourbillon glacé.

 

   Heureusement qu’en septembre les arbres sont toujours dodus et les branches solides. Même s’il n’en reste que très peu à cette hauteur, je réussis à saisir un tronc que j’entoure de mes bras.

   – Oh non, mon humain !

   Le voilà qui dévale tout azimut sur le tapis blanc et disparaît.

 

   Lorsque le calme revient, Palou me rejoint en courant.

   – Gil ! Gil, ca va ?

   De nouveau en appui sur mes pieds, je scrute l’horizon à la recherche de mon humain.

   – Gil tu vas bien ? Répète Palou, inquiet.

   – Oui oui, je me suis juste cassé un ongle.

   Je lui tends le phanère jaunit par les colonies de champignons.

 

   Palou me sourit et me montre du doigt la cime d’un arbre.

   – Oh regarde Gil ce drôle d’amas de mousse, je me demande quel énorme oiseau a pu construire ce nid.

   Je comprends tout de suite que c’est de mon humain qu’il parle et qu’il est coincé dans un arbre.

   Lorsque Palou rebrousse chemin, je cours vers le conifère et commence l’ascension. Arrivé sans difficulté au sommet, j’attrape le bras baveux de mon humain qui me glisse entre les doigts. Je suis déséquilibré et je tombe à sa suite.

Me voilà avachi sur mon humain au sol. Désormais plat comme un tapis, je le traine lamentablement jusqu’à chez moi.

 

   Je prends le temps de débarrasser mon humain de toute sa mousse et je l’observe. Il est devenu bleu en plus d’être tout écrasé. Après de longues minutes de réflexion, j’ai une idée.

   Je vais le regonfler !

   Je m’accroupi à son coté et lui ouvre grand la bouche. Je prends une longue inspiration et souffle aussi fort que possible.

 

   Malheur ! Mon humain explose ! Du plasma sanguin vole aux quatre coins de la grotte. Les murs glacés, immaculés, rougissent abominablement. Je reste interdit.

 

   C’est au même moment que Karl, chef de Tribu fait son apparition.

   – Gil, on m’a dit que...

   Il s’interrompt et observe la scène. C’est un champ de bataille qui s’ouvre devant ses yeux.

   Je ne sais plus où me mettre. Karl se gratte la toison du dos et éclate de joie.

 

   – Gil, as tu chassé un humain ? C’est fabuleux ! Te voilà un membre incontestable de la tribu !

   Les membres du clan, alertés, se pressent tous autour de moi pour admirer le redoutable Yéti déchiqueteur d’humain.

 

   Je fus acclamé et l’on décréta, depuis ce jour, que tous les premiers septembre nous fêterions les Gil en souvenir de mon exploit.

 

 

 

J0h
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