La promesse de l'aube

Septembre est une naissance. Une promesse. L’incipit d’un automne ronronnant qui pose une patte sur un été qui s’endort.

Septembre est un lundi, Août un dimanche.

Septembre est un bout d’automne perdu au crépuscule de l’été, une enfance qui s’enfuit, une gerbe d’étoiles scintillantes retombant à l’horizon. L’été était une fête, une insouciance, un feu d’artifice.

Au retour des vacances, l’été radieux tire sa révérence ; on ne perçoit plus que l’ombre du soleil derrière le rideau déformant de la pluie. Au creux de nos songes, comme de lentes réminiscences de plaisir, le sable chaud caresse encore nos doigts gourds, les vagues inondent nos visages de sel et le vent transporte avec lui ses effluves sucrés.

Mais quand la brise fraîche de septembre nous réveille en se chamaillant avec la rosée du matin, quelques notes de nostalgie tourbillonnant dans l’air viennent nous griffer le cœur, telles des épines rebelles.

Les entailles sont superficielles et les blessures légères, mais pour un court instant, en levant les yeux vers le ciel, on jurerait que la douleur durera toujours.

En septembre, une petite valse lente s’est accordé aux arabesques gracieuses des nuages. Et les réveils se sont remis à sonner dans la nuit.

Sous les pâles lueurs de l’aube, à l’heure où frémissent les rues et les bols de café, les corps s’activent, bien cachés derrière des bouts de laines. Après la paresse de l’été, la vie bourgeonne à nouveau. Mais les gestes et les cœurs semblent lourds, comme lestés, embourbés dans une mélasse de chagrin.

Puis, d’un seul coup, le monde s’allège. La pesanteur s’évapore. Par un jeudi matin habillé de perles, sous un ciel sombre comme du charbon, entre une règle de trois incalculable et un participe passé bien présent, mon été radieux est revenu. Mes yeux ont été ébloui par deux éclats de diamants. J’avais à peine huit ans, je faisais une tête de moins que la moyenne des garçons de ma classe ; mes jambes jouaient les balançoires sous ma chaise ; mais devant mon pupitre, j’ai trouvé le moyen de me faire encore plus petit. Quand elle s’est retournée, tout en moi à fondu plus vite que le bâtonnet au citron de mes goûters sur la plage.

Elle s’appelait Sophie. Elle était toute en couette et en rayure. Elle était assise devant la mappemonde accrochée au tableau noir et passait son temps le bras en l’air. Elle savait tout. Moi, j’avais posé mon cartable tout au fond, loin des dates historiques et des capitales de l’Afrique. Et je ne savais rien. A part que la foudre existe et qu’elle venait de me transpercer le cœur.

Le soleil de l’été avait remballé ses rayons brûlant depuis bien longtemps, mais tout en moi transpirait d’espoir et de désir. Dans ma poitrine, l’orchestre du 14 juillet jouait sa plus belle partition.

Je n’étais plus le petit Antonin Morant, le cancre du collège Descartes, fils d’un cordonnier et d’une couturière, habitant le dixième étage d’un immeuble ventru de la cité Jeanne d’arc à la périphérie de Valognes. Non. En un regard, j’étais devenu ce que j’imaginais de moi quand j’étais libre de rêver : j’étais d’Artagnan, j’étais Josh Randall, j’étais Roméo.

J’étais le héros de mon roman et Sophie Grimaldi, fille d’un agent administratif et d’une mère au foyer, résident dans la zone pavillonnaire du clos fleuri, était mon héroïne. Pieds nus dans des chaussures bateaux au cuir rongés par l’humidité, je n’avais plus froid. J’étais un capitaine de frégate téméraire, le panache accroché au cœur, voguant sur les mers du sud à la conquête d’une terre nouvelle qu’on nomme l’Amour.

Et puis la cloche sonna. Et tout en moi se brisa. L’épicentre de mon tremblement intérieur se situait quelque part dans ma poitrine. Mon héroïne disparut à la vitesse de l’éclair qui venait de me foudroyer. Le jeu de l’élastique semblait la séduire bien davantage que mes promesses écrites sur du sable. Ses chevilles sautaient par-dessus un fil invisible, ses couettes dessinaient de petits cercles derrière ses oreilles, comme des ronds sur l’eau après le plongeon d’un caillou. Ses joues étaient rouge pivoine, elle criait, s’agitait et s’amusait, tandis qu’en moi, l’hiver s’installait.

L’été de mon cœur n’avait été qu’une éclaircie d’automne. A présent, le sac de billes au fond de ma poche me paraissait lourd comme une enclume. L’ancre de ma frégate raclait désormais le fond des mers du sud. Le vent était retombé. Le drapeau de mes espérances pendait lamentablement contre le mât planté sur la plage de ma terre promise. Une terre désormais brûlée à la flamme de l’Amour. Tout ça pour une partie de saut à l’élastique. Comme quoi dans la vie, tout est relatif…

Un instant, j’ai pensé que, pour toujours, j’aurai dans la bouche cet arrière-goût de cendre.

Mais à Huit ans, rien ne dure vraiment. Les sentiments et les émotions qui nous traversent sont éphémères et fugaces comme des étoiles filantes. Ce fut ma chance. Mon salut. Mon arche de Noé.

Ce qui reste en nous pour la vie, c’est la lumière que nous offre parfois quelques regards brillants comme des éclats de diamants.

J’ai vécu quatre-vingt-dix été radieux, et, si je me fie à mon instinct, je n’en verrai plus jamais d’autres.

Les lois de la nature sont immuables et les voix du ciel sont, comme on dit, impénétrables.

Mais je sais aussi que c’est la lumière qui a jailli en moi en ce pluvieux matin de septembre qui a éclairé mes pas jusqu’à aujourd’hui.

Et qu’elle continuera à m’accompagner et à me tenir chaud durant l’éternel hiver qui m’attend au tournant.

 

Commentaires

Bravo ! Très joli texte 😁

Lecture très agréable, bravo !

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