Le train de la liberté

2 septembre,13h15. Le train s’ébranle doucement avant de quitter la gare. La route sera longue. Mes doigts tapotent la banquette en rythme. Pour l’occasion, j’ai mis ma chanson préférée. En boucle. Peut-être m’en lasserai-je avant d’arriver à destination. Ou peut-être pas. C’est ainsi avec tous mes coups de cœur musicaux. Toujours cette période d’écoute répétée. Ça me permet de m’imprégner de la mélodie, des paroles. Et des sensations qu’elle provoque en moi.

Quand on rencontre quelqu’un, si le premier contact est encourageant, on tâtonne pour se familiariser avec la personne. Voir si le courant passe. Avec la musique, c’est pareil. Je ressens cette décharge au cœur. Douce et familière.

Je n’ai qu’une envie : me mettre à chanter. Faire partager mon bonheur à tous les passagers. Au monde entier. Mais je m’abstiens. Au fond, le regard des autres, leur jugement, me terrorisent. Alors je savoure cet instant, seule. Egoïstement. Puis je commence à observer les gens alentour. Mon regard s’arrête sur une petite rousse un peu plus loin.

Elle a l’air tendue. J’irais bien la voir. Mais quelque chose me retient clouée à mon siège. Je n’ai jamais été très courageuse. Et ce n’est visiblement pas aujourd’hui que ça va changer. Je l’observe plus attentivement. On se ressemble un peu. La même nuance de roux à nos cheveux. Les siens forment de jolies boucles. Les miens sont raides comme des baguettes de tambour. Je me reconnais aussi dans son expression à la fois apeurée et excitée. Ces sentiments qui font osciller entre « c’est le rêve de ma vie qui se réalise » et « pourvu que je sois à la hauteur ».

La fille a dû sentir mon regard insistant. Elle se retourne brusquement, dans une expression de défiance. Je tente un sourire timide avant de baisser la tête sur mon téléphone. C’est compliqué les relations humaines. Je n’ai jamais été très douée pour me lier d’amitié. Cependant, la vie m’a quand même offert les deux meilleures amies du monde.

« C’est facile de dire ça à onze ans », penserez-vous. Vous rajouterez que ça ne dure jamais. Mais laissez-moi y croire s’il-vous-plaît. Même si nous sommes très différentes toutes les trois. Laissez-moi cette illusion encore un temps. Déjà qu’avec ma nouvelle vie, j’ai peur de les perdre. Pourtant, quand je leur ai annoncé que j’allais étudier à Poudlard, elles en ont été heureuses. Elles vont me manquer. Terriblement.

Mes parents aussi. Tous les quatre m’ont accompagnée jusqu’au panneau indiquant la voie 9 ¾. Mais seule, j’ai traversé le mur de briques avec ma valise. Les moldus ne peuvent pas passer paraît-il.

C’était l’heure des « au-revoir », des embrassades. Nous nous écrirons des lettres par hiboux interposés. Je leur raconterai tout. Ce sera fabuleux. Faire ma rentrée à Poudlard : un rêve qui se réalise. J’ai toujours su que j’étais spéciale. Mais j’en avais honte. Alors je le cachais. Jusqu’à ce que je reçoive le courrier signé de l’actuelle directrice de la célèbre école de magie : Gillena McGonagall.

La petite fille de Minerva occupe ce poste depuis quelque temps déjà. J’espère qu’elle a autant de classe que sa grand-mère ; mon idole.

 

Cette fois, c’est moi qui me sens observée. Je tourne la tête dans la direction que m’indique ma boussole interne. La petite rousse me scrute avec curiosité. A ce moment-là, je me rends compte que je souris béatement en fredonnant. Elle doit me prendre pour une cinglée. Et elle n’aurait pas tort…

Reprenant contenance, je commence à imaginer mon arrivée là-bas. La traversée du lac en barque, à la lueur des lanternes pour les première année m’a toujours fait rêver.

Je me demande à quoi pourrait ressembler le successeur de ce cher Hagrid. Je me plais à penser qu’il serait aussi exceptionnel que l’ancien garde-chasse.

Arriverait ensuite la cérémonie de répartition par le choixpeau magique, et cette question que l’on redoute tous : à quelle maison m’assignerait-il ? Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle ou Serpentard ?

Je me suis toujours sentie Serdaigle au fond de moi. Non pas que je me trouve particulièrement intelligente, c’est juste cette notion d’intellect qui m’attire le plus.

Reste à savoir ce qu’en penserait ce vieux chapeau rapiécé. Gryffondor représentant le courage, il est certain qu’il ne m’enverrait pas chez les lions.

La répartition terminée, viendrait alors ce banquet royal qui me met déjà l’eau à la bouche. Je pourrais manger à m’en faire exploser l’estomac. Toute cette nourriture à volonté, c’est trop tentant. Cette impression d’entendre chaque morceau de viande, chaque légume, chaque sucrerie, supplier de les engloutir goulument. Défi accepté !

Et enfin, une fois repus, nous partirions tous à la découverte de nos dortoirs respectifs ainsi que des fantômes qui les hantent ! J’ai tellement hâte !

Pourtant, une chose me terrorise vraiment : la rencontre avec les autres élèves… En tant que descendante d’Harry Potter et de Ginny Weasley, j’ai bien peur de faire une arrivée remarquée. Chose que je préfèrerais éviter afin de garder l’anonymat encore quelques temps. Pourvu qu’il ne m’arrive pas le même genre d’aventures, je ne suis clairement pas née pour ça. Entre ma lâcheté et ma maladresse innée, je serais capable de désintégrer le monde des sorciers d’un claquement de doigts.

Non merci. Raison de plus pour me faire la plus petite possible.

 

Le signal de notification de mon téléphone me fait sortir de mes rêveries.

L’horloge affiche 15h15. Il ne me reste plus très longtemps à patienter.

Plusieurs messages de mes proches ont infiltré ma messagerie.

Bien que cela fasse toujours plaisir de se sentir un tant soit peu aimée, il est hors de question de flancher maintenant. Je décide donc d’ignorer purement et simplement toutes ces démonstrations d’affection virtuelles et je me reconcentre sur la petite rousse. Peut-être ferons-nous parties de la même maison ? Seront-nous amies ?

Elle a désormais un casque d’un beau vert émeraude sur les oreilles. Il fait ressortir la couleur de ses jolis yeux. Plongée dans sa bulle musicale, elle a baissé sa garde, et tapote à son tour la banquette au rythme de sa musique. Un mince sourire aux lèvres, elle regarde les paysages défiler, des rêves plein les pupilles.

J’en profite pour vérifier que l’objet qui a tant attiré mon attention au départ se trouve toujours sur ses genoux. Rassurée de l’apercevoir, je me raccroche à cette petite chose qui m’aide à assumer ma lâcheté coûte que coûte, jusqu’à ce qu’il soit l’heure.

Les livres ont toujours eu un effet bénéfique sur moi. J’espère qu’aujourd’hui encore ce sera le cas et que cet exemplaire-ci remplira son rôle.

 

15h25. Plus que cinq grosses minutes. Ou petites minutes, selon notre point de vue. C’est maintenant ou jamais. Une profonde détermination s’empare de mon esprit. Il est de toute façon trop tard pour reculer. J’éteins ma musique et je range mon casque dans mon sac.

 

Tic tac, tic tac. Les minutes s’égrènent pour devenir des secondes. Le compte à rebours s’affole ainsi que les battements de mon cœur qui s’intensifient. Les boums boums sont de plus en plus violents. Je commence un peu à paniquer. Il manquerait plus que mon palpitant me sorte de la poitrine pour aller se ficher dans la vitre en face…

Pour me calmer, j’inspire, j’expire, encore et encore et je me dis que cette décision est mûrement réfléchie et tout aussi lâche que je l’ai toujours été. Que c’est mon destin. Alors, je souris, angoissée, mais déterminée et heureuse.

Mes yeux fixent l’ouvrage sur les genoux de la rousse qui reste dans son monde et qui n’a aucune idée de ce qui va nous tomber dessus. C’est le moment de vérité…

Des secousses se font ressentir…

 

Le monde d’Harry Potter m’a toujours fascinée. Alors, en ce jour de rentrée scolaire, quand j’ai vu une passagère avec le livre, il ne m’en a pas fallu plus pour démarrer mon voyage mental. Mon imagination a fait le reste en attendant l’instant T.

Dans une autre vie, je me serais bien vue à Poudlard avec une baguette magique. Sauf que là, nous ne sommes pas dans un livre. Nous sommes dans le monde réel. Le Poudlard Express et la voie 9 ¾ n’existent pas. Je n’ai pas onze ans. J’en ai vingt-cinq. Et je ne vais pas à Poudlard.

L’angoisse déforme les traits de la rousse qui s’est enfin aperçu que quelque chose clochait. Moi, je bous d’impatience. Je savais exactement ce qu’il se produirait. Comment ? C’est un secret !

Voilà pourquoi je suis dans ce train.

L’envie d’en finir.

La solution de facilité.

La vie est trop compliquée.

Tout ceci n’est pas pour moi, ma place n’est pas ici-bas.

Cette curiosité de voir ce qu’il y a après est trop forte…

Un dernier regard à la rousse. Elle n’a pas choisi de vivre ça. Moi, si.

Je ferme les yeux pour savourer pleinement ce moment…

Choc sourd. Violent. Très violent.

Quelque chose de dur me traverse.

Des cris fusent.

Et puis plus rien.

Que du noir.

Et du silence.

Enfin libérée de ce monde…

C’est donc « ça » l’Après ?

 

Ce soir, le journal télévisé en date du 2 septembre annoncera un terrible accident de train. Plus d’une centaine de morts, précisera le présentateur. Des étudiants se préparant à la rentrée scolaire, pour la plupart

Les autorités iront informer les proches des victimes. Mes parents en feront partie.

Une jeune fille rousse – seule rescapée – retrouvera les siens à l’hôpital. Ses blessures seront qualifiées de superficielles. Vivante, mais traumatisée à vie.

Ses proches parleront de « Miracle ». Dans sa tête à elle, les images qui défileront en boucle seront plutôt comme une malédiction : mon visage fendu d’un sourire et mon corps transpercé luisant de sang, recouvrant et protégeant le sien jusqu’à l’arrêt total du wagon.

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