Retour en enfer

4 septembre. 6h30. Réveil matinal au son strident de l'alarme de mon téléphone. Douche rapide et préparation vestimentaire de rigueur. Maman ne voudrait pas que j'entame ma première année de lycée "attifée comme une bohémienne". Je fais donc un effort et choisis un jean bleu foncé, une chemise à carreaux et une paire de baskets rouge. Je fais volontairement l'impasse sur le petit-déjeuner. Mes crampes à l'estomac sont beaucoup trop fortes pour que je réussisse à manger quelque chose sans être certaine de ne pas tout rendre ensuite. Je préfère consacrer ce temps à la promenade de mon chien. Un moment de détente bienvenu avant la reprise.


7h22. Je suis assise sur le siège passager, un bras posé sur la portière, mon sac à dos à mes pieds. Maman est comme moi, mutique. Seul le bruit du clignotant vient troubler le silence pesant qui règne dans l'habitacle. Je regarde le paysage défiler. Ce chemin, que je connais par cœur pour l'avoir parcouru à de trop nombreuses reprises. Les arbres taillés en forme de parapluie, l'arrêt de bus vandalisé, la vieille dame assise sur le banc, devant sa maison, une tasse de thé à la main. C'est son rituel. Sans doute est-ce la seule façon qu'elle a trouvé pour se sentir moins seule.


7h45. Je consulte l'écran de mon smartphone. 4 barres de réseau. Pas un seul message. Rien d'étonnant. "Tout va bien se passer." Les premières paroles de maman depuis notre départ de la maison. Des mots, rien que des mots, toujours des mots, chantait Dalida.


7h48. La voiture s'arrête sur le parking. Je parcours les alentours du regard. De nombreux groupes de collégiens, devenus comme moi maintenant lycéens, se sont reformés à l'identique de l'année précédente. Certains se serrent dans les bras après deux mois de séparation quand d'autres rient aux éclats ou se font simplement la bise. Une boule se forme dans ma gorge. Moi, personne ne m'attend.


7h50. J'ai aussi longuement regardé la voiture de ma mère s'éloigner qu'elle avant de me laisser quitter le véhicule. "Appelle-moi si ça ne va pas." J'ai réfréné l'envie de m'accrocher à sa jambe tel un koala et de lui hurler de ne pas me laisser là.


8h. Premier réflexe de tout le monde avant la sonnerie : découvrir la répartition et la composition des classes. Devant le tableau placé au milieu de la cour, une foule d'élèves. Je me fraie non sans mal un chemin jusqu'à la liste qui décidera de mon calvaire mais me retrouve projetée violemment en arrière. "Pousse-toi Squeletor." Cette voix, synonyme d'humiliations, de coups et d'injures...La revoilà. Une fois de plus, en chair et en os. Je vois cette longue chevelure brune se hâter vers le tableau, alors que les élèves se dispersent pour lui ouvrir la voie. Un petit cri de joie franchit ses lèvres et elle prend l'une de ses acolytes dans ses bras, sautillant de joie. En la regardant comme ça, cette fille parait humaine. Mais en une fraction de seconde, le temps de poser ses yeux sur moi, son visage change d'expression. Dr Jekyll et Mr Hyde. Je déglutis avec difficulté mais refuse de baisser le regard. "Quelle chance qu'on soit encore dans la même classe cette année." Elle s'approche, fouille dans la poche de sa veste en cuir et me tend un papier plié en deux. Je l'ouvre et découvre une photo de Jennifer, barrée d'une croix rouge. La boule dans ma gorge ne fait que grossir un peu plus et je sens les larmes affluer à mes yeux. La tortionnaire approche son visage du mien et articule à voix basse "Et il n'en resta plus qu'une." Son regard se pose à nouveau sur la photo de celle qui avait été ma seule et unique amie, puis sur mes avant-bras couverts de cicatrices. Un sourire machiavélique étira ses lèvres. Puis, elle s'éloigna. Je serrais les dents pour ne pas hurler, pour ne pas pleurer. Jennifer n'était plus. Cette peste avait eu raison d'elle, par sa cruauté, ses injures incessantes et ses humiliations constantes. L'amour que je lui portais n'avait pas suffi à la sauver. Aujourd'hui, il ne restait plus que moi. Moi qui adore lire, écrire, apprendre, me cultiver. Moi différente parce que trop mince, trop petite, trop timide, trop gentille. Moi, le bouc-émissaire, la tête de turc, l'erreur humaine. La sonnerie retentit. Une professeur apparut, souriante et chaleureuse et nous invita à nous mettre en rang. Ma harceleuse en prit instantanément la tête, toute fière.


Bienvenue en enfer.

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