Quand vous me regardez, vous êtes souvent rebuté par mon aspect. Je suis déguenillé, délavé, replis de trous, usé par les bisous. Certains d’entre vous voudraient même me jeter à la poubelle ! Mais, ne vous fiez pas à mon apparence, je suis splendide, unique, irremplaçable pour une jolie petite fille aux cheveux d’or. Laissez-moi vous conter mon histoire et bientôt vous me regarderez avec ses yeux.

Je suis venu au monde à Saffré, non loin de Nantes, au lieu dit Moulin Roty.  Grâce à 4 bouts de tissus, 3 bobines de fil, 2 mains habiles et un peu d’amour, j’ai pu voir le jour.

Confortablement installé dans l’échoppe de l’atelier de confection, je devais attendre patiemment d’être adopté.  Chaque fois qu’un enfant entrait, mes yeux s’écarquillaient…  Mon petit cœur de chiffon battait à tout rompre, espérant être celui qu’on choisirait. Hélas, je n’étais jamais celui-là.

Le soir, bien souvent, quand les lourdes portes en bois sculpté se refermaient, je refoulais les larmes de tissus qui cherchaient à se frayer un chemin pour couler le long de mes joues. Qu’allais-je devenir ? je me sentais inutile. Ma vocation n’était-elle pas d’apporter, tendresse, amour et réconfort à un petit être sans défense ? Les jours s’égrenaient petit à petit apportant chacun leur lot de déceptions.

Un matin de décembre, alors que je regardai par la fenêtre m’émerveillant devant les reflets irisés de la neige, je la vis descendre de sa voiture. Cachée derrière son énorme ventre, elle franchit la porte de la boutique. Son regard se posa instantanément sur moi et s’éclaircit. Elle s’approcha, caressant son ventre, doucement, tendrement, tout en lui parlant : « ça y est mon amour, je l’ai trouvé, il est là, c’est lui ».

Délicatement, elle me saisit m’effleurant du bout de ses doigts :« C’est toi qui veillera sur mon trésor quand je ne serai pas là, c’est toi qui la rassurera quand la noirceur de la nuit l’inquiètera, c’est toi qui écoutera toutes ses confidences, toi qui sera son réconfort » Tout en douceur, elle me posa sur son ventre : « Pour l’instant, elle est encore tout à moi mais, bientôt, tu la rencontreras ».  Je compris alors que je n’avais été crée que pour cet instant. Dorénavant un lien invisible m’unissait à ce petit être qui n’était même pas encore né. Au fond de moi, je l’aimais déjà.

Tout de suite, j’ai eu une place particulière dans sa vie. J’ai été le premier à entrer dans sa chambre, à m’assoupir dans son couffin, à entendre la douce mélodie de son prénom. Du coin de l’œil, j’observais chaque jour la petite valise rouge se remplir un peu plus…. Comme sa maman, je l’ai attendu impatiemment, amoureusement.

Une nuit, alors que le ciel rutilant d’étoiles s’embrasait en mille étincelles, un bruit déchira le silence qui emplissait la maison. Il y avait dans l’air un je ne sais quoi d’excitation et d’inquiétude. Je compris alors que ce n’était pas une nuit ordinaire… C’était la nuit que nous attendions avec impatience ! On me saisit frénétiquement par le bras direction la maternité, il n’était pas question de s’y rendre sans moi.

Bien sagement assis dans un petit berceau transparent, je scrutais les moindres faits et gestes de la sage-femme. Enfin, le temps s’arrêta, suspendu aux vocalises du nouveau né. Une bouffée d’amour me submergea quand on posa la petite près de moi.  Ses yeux s’ouvrirent en grand, elle esquissa un sourire, elle savait que c’était moi, elle savait que je serai toujours là.

Depuis ce jour, seul m’anime le désir de la protéger, de la calmer, de l’écouter, de l’emporter doucement aux pays des rêves. Nous savons tout l’un de l’autre, elle est une partie de moi, je suis une partie d’elle.