Même les monstres ont tremblé

      Violette préparait la fête depuis qu’elle avait vu octobre s’afficher au calendrier. Un mois ne serait pas de trop pour mettre en place toutes les idées qu’elle avait glanées sur les réseaux et dans les magazines.

Elle avait placé la barre haut et espérait en mettre plein les yeux aux bambins invités comme à leurs parents.
D’année en année, les familles du quartier se relayaient pour organiser Halloween. Et l’an dernier, chez la voisine cela avait été génial. Les enfants en avaient parlé longtemps. Alors Violette, que le tirage au sort avait désignée nouvelle organisatrice en chef, ne pouvait pas faire moins.

Elle qui tenait le blog « Maman assure ! » n’avait pas le choix. Il lui fallait envoyer du bois pour ne pas perdre toute crédibilité. Et puis, ses filles jumelles, Lya et Rose, comptaient sur elle pour être à la hauteur des promesses faites aux copines. La pression était telle que même ses rêves étaient peuplés de sorcières. Elle pensait Halloween, elle rêvait Halloween et elle mangeait Halloween.
Les recettes les plus bizarres étaient testées mais pas toujours approuvées. Le cocktail à l’apparence sanglante que les filles avaient goûté avait immédiatement été écarté, son goût de betterave trop prononcé avait fait recracher les demoiselles. Mais elles avaient validé les meringues fantômes trop belles et les pommes d’amour noires trop originales. Les doigts de sorcière terrifiants leur avait fait pousser des cris et Violette avait dû jurer que cela se mangeait pour qu’elles y goûtent.

Les filles avaient tenu à mettre la main à la pâte et Violette avait commencé par leur demander de colorier et découper des monstres, des balais, des citrouilles et autres chats noirs pour faire de grandes guirlandes à accrocher au séjour en plus des filets imitant les toiles d’araignées disposés sur les meubles, les plantes et les bordures de fenêtres. Les balades en forêt étaient prétexte à ramener de la mousse, des feuilles mortes et des branches pour finir de transformer la pièce en forêt maudite.

Lya et Rose étaient fières de l’allure étrange que prenait l’endroit jour après jour et avaient vanté leur décor auprès de leurs camarades qui déjà s’enthousiasmaient.

Tout s’organisait, la date approchait, mais Violette cherchait encore la bonne idée, celle qui surprendrait petits et grands et leur donnerait le frisson.

Elle avait listé les activités qui occuperaient les enfants jusqu’au moment du goûter, prévu le podium pour le défilé et l’élection de la créature la plus effrayante. Ce serait une belle fête, mais ce n’était pas suffisant. Il lui fallait imaginer le clou du spectacle, la surprise qui épinglerait le succès.

Alors elle en avait parlé à son amie Louise, une artiste fantasque jamais à court d’idées, qui se voyait déjà à la fête.

— Ne t’inquiète pas, je vais trouver un truc qui va leur flanquer la trouille. Tu vas l’avoir ta sorcière moche et méchante !

— N’oublie pas que ce sont des enfants tout de même, tu ne vas pas me les traumatiser.

Le dernier jour d’octobre sonna enfin l’heure de la fête. Les petits monstres aux yeux noircis, impatients de se retrouver, sortaient sur les trottoirs attendre les copains. Et d’un bon pas, ils gagnèrent la maison des jumelles.

Lya et Rose avaient baissé les volets afin d’assombrir leur salon devenu forêt de Halloween et allumé les bougies dans les citrouilles creusées qui étalaient leurs ombres grimaçantes.
Violette lança la musique pour accueillir les invités aux bal des monstres. Elle avait compilé des morceaux sombres et effrayants qui plongèrent vite la maisonnée dans l’ambiance. On commença par la présentation au podium. En petites stars, les enfants se montrèrent tour à tour. On jouait à se faire peur, on affichait les pires grimaces, on tentait des cris lugubres, on présentait ses griffes ou des objets faussement ensanglantés, on jetait des serpents et des araignées. Il fallait impressionner.

La plus vilaine des créatures reçu son diplôme et Violette enchaîna avec les jeux. On avait beaucoup rit lorsqu’il avait fallu répéter, pour gagner une sucette fantôme, une drôle de phrase qui faisait bafouiller. Difficile de ne pas écorcher cet enchaînement de mots que Violette avait savamment choisis. «  La crapouille cruelle cru croquer une crevette crue et recracha le gros grillon gris. » fit se contorsionner les petites bouches et s’esclaffer plus d’une fois.

Louise, la sorcière moche et méchante, n’était toujours pas arrivée. Violette avait essayer de la joindre trois fois déjà, mais avait eu directement le répondeur. Il avait dû se passer quelque chose. Louise avait promis une belle surprise et rien ne venait. Violette tentait de ne rien montrer de son inquiétude mais elle avait un mauvais pressentiment.
Enfin on sonna au portail et elle soupira. Soulagée, elle se dirigea vers l’entrée pour accueillir son amie.

Elle ouvrit la porte sur un livreur qui déposa un énorme colis noir enrubanné de fausses toiles d’araignées.

— Happy Halloween !

Il n’avait lâché que ces deux mots et retournait à sa camionnette en sifflant.

Sur une étiquette découpée en forme de bouche de vampire étaient inscrits les prénoms de ses filles. Elle se dirigea vers le salon, jeta un clin d’œil complice à Lya et Rose qui approchaient piquées par la curiosité.

— Je crois que Papa n’a pas oublié Halloween, je pense qu’il vous a envoyé des surprises.
Les petites, tout sourire, saisirent le paquet et s’installèrent au milieu des bambins étonnés par ce cadeau inattendu.

Lya arracha les longs fils blancs où s’accrochaient quelques insectes aux pattes velues pendant que Rose cherchait les ciseaux qui ouvriraient le paquet.

Lorsque le scotch lâcha, les rabats du carton tels des ressorts, se relevèrent laissant exploser le contenu. Il y avait eu des cris, des reculades et des taches aussi. D’une bouillie sanguinolente avaient jailli des morceaux horribles. Un pied coupé, un œil globuleux, des dents bien pointues, des doigts aux ongles gigantesques et un tas de formes molles et dégoûtantes.

La musique avait cessé et un rire d’outre-tombe glaça les sangs de tout ce petit monde qui ne savait s’il fallait rire ou pleurer.

Une voix surgie de nulle part, gutturale et caverneuse porta l’effroi à son comble.

— Ouvrez les yeux petits malins, si vous ne voulez pas périr, rendez-moi mon apparence. Mon corps est en miettes mais mon esprit est intact. Je peux le bien comme le mal, je suis la sorcière Salina. J’ai le pouvoir de mettre le feu comme ça (et la grande coupe transparente, sur la table du goûter se mit à bouillonner et à fumer) et je suis capable de faire éclater ce qui me plaît (un ballon de baudruche claqua et des bonbons de toutes les couleurs volèrent en éclats). J’ai besoin, pour me recomposer, de boire l’élixir de vie. Je vous charge d’aller chercher tous les ingrédients nécessaires que vous jetterez dans le chaudron. Et quand vous aurez bien remué la mixture, je l’avalerai. Alors, j’apparaîtrai à vos yeux et vous serez bien remerciés. Plus vite vous irez, plus belle sera la récompense. Attention, ceux qui ne voudront pas m’aider seront châtiés. La liste des ingrédients de la recette est au fond du carton, allez, c’est parti !

Pétrifiés, les enfants interrogeaient du regard Violette qui était stupéfaite par les idées de son amie.

« Elle y va fort tout de même » pensa-t-elle. Elle voulut rassurer les enfants et en quelques mots, motiva la troupe.

— Bon, vous avez tous bien compris ? On va faire comme elle a dit, ramener ce qu’elle veut pour concocter sa potion magique et tout ira bien. Et puis moi, j’ai envie d’avoir la récompense, pas vous ?

Les audacieux s’étaient avancés, puis les grincheux et les peureux s’étaient ralliés autour de Rose qui déchiffrait à haute voix la recette.

2 tasses de sueur de dragon

1 tasse de bave de crapaud

½ tasse d’œufs de grenouille

50 g de pattes d’araignées

1 cuillère à café de poudre de limaces séchées

1 zeste de champignon pourri

3 crottes de loup garou

2 oreilles de troll

Beurk, pff, bah... tous les cris de dégoût fusaient à chaque élément ajouté.

— C’est impossible à trouver ces trucs-là, bougonna un gamin.

— Je sais c’est compliqué, concéda Louise, mais on ne va pas se décourager avant de commencer. Réfléchissons bien... de la sueur de dragon, ça ressemble à quoi à votre avis ?

— De l’eau salée, lança le plus hardi.

— C’est bien vu ça ! Lya, tu peux préparer deux tasses, s’il te plaît. Et pour la bave de crapaud, quelqu’un a une idée ?

Là, on avait un peu plus de mal. Chacun y allait de son idée mais rien ne semblait pouvoir faire illusion. Alors Violette proposa un blanc d’œuf et, de l’avis de tous, ce filet gluant imitait à merveille la salive visqueuse du batracien.

Les graines de tapioca remplaceraient facilement les œufs de grenouille. On décida que le vermicelle de chocolat ferait de belles pattes d’araignées et que rien ne ressemblait plus à la poudre de limace que la muscade moulue. On râpa du fromage pour le zeste de champignon pourri et trois dattes furent jetées dans le chaudron en guise de crottes de loup garou.
Il restait à dénicher les oreilles de troll et l’affaire n’était pas simple. On touchait au but et tous redoublaient d’effort. Au bout de quelques minutes, une petite gourmande devant la table des bonbons hurla la victoire.

— J’ai trouvé les oreilles, regardez ! Elle brandissait deux morceaux de guimauve rose. Il faut juste les aplatir et les couper bien pointues et ça va le faire.

Elle pressa la guimauve sur la table et, avec les ciseaux, tailla l’extrémité des oreilles qu’elle amena fièrement au chaudron.

Lya remua cette tambouille à grands coups de cuillère en bois et la sorcière pour la seconde fois fit entendre sa vilaine voix et déclara sa colère.

— Vous vous êtes moqué de moi, il n’y a rien de ce que je voulais dans ce chaudron. Je vous avais prévenus. La sentence sera terrible. Vous serez tous changés en vers et condamnés à errer pour l’éternité sous la terre.

Cette fois, les enfants avaient vraiment peur, les visages se crispaient, les regards effarés cherchaient le moyen de fuir la sinistre perspective, les plus petits s’étaient réfugiés contre leurs parents.

La sorcière moche et méchante avait réussi à les faire frissonner. Elle s’en amusa quelques instants, puis sortit du placard de l’entrée pour se dévoiler enfin. Enlaidie par un maquillage incroyable, elle s’avança. Montrant son teint blafard et son regard assombri par des rides et des sourcils très épais dessinés au crayon, elle crachait de sa grande bouche noire un rire dans un petit boîtier qui déformait sa voix. Le micro, près de sa bouche, renvoyait d’effrayantes sonorités à faire perler une sueur d’angoisse.

Enfin, elle posa cet accessoire diabolique pour reprendre sa voix, vite reconnue par les filles.

— Tata Louise vous a bien fait marcher, pas vrai ? Même les monstres ont tremblé, je vous ai vus. Ce frisson vaut bien un bonbon je pense, vite un bonbon ou je vous jette un sort !

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