Paris, 3h du matin

3h du matin : il se réveille en sursaut d’un cauchemar dans lequel le monstre était son propre reflet.

Dans la salle de bain, son reflet lui paraît flou et malveillant. Ses murs semblent se rapprocher doucement, et la lampe se jouer de lui. Il suffoque, sort en trombe, les chaussures mal attachées et les vêtements bientôt mouillés par la pluie. Ébloui par les lumières de la ville et définitivement réveillé par les klaxons des voitures il court, cherchant à fuir l’agitation de Paris.

C’est Halloween et les rues sont bondées. Les zombies et les sorcières, les Jokers et les diablesses, tous se pressent dans la nuit glaciale et humide, poussent des grognements, jouent à se faire peur, rient aux éclats. Il les observe prendre la direction opposée à la sienne, tous d’un pas déterminé et joyeux, laissant tomber derrière eux des friandises. Cette trainée de bonbons l’effraya, sans qu’il ne puisse expliquer pourquoi.

Maudissant le monde sur les trottoirs et le lacet qui manque de le faire chuter il finit par se hisser sur un toit de la ville, admirant silencieusement le spectacle des lumières de Paris. Est-ce que toutes ces personnes en dessous de lui se voyaient, elles aussi, en monstres dans leurs cauchemars ? combien de fois était-ce arrivé cette semaine ? était-il réellement éveillé ? il compta sur ses doigts : deux, trois… et il remarquera avec effroi que le lacet qui avait pourtant manqué de le faire buter sur le trottoir n'avait jamais existé.

Ses musclent se raidissent, de ses doigts à ses mollets, son souffle se fait court, son cœur menace de sortir de sa cage. Il se souvient de la trainée de bonbons sur le trottoir et soudain il n’y a plus rien d’autre qui compte. Il se précipite, descend les sept étages qui le séparent du trottoir à la hâte, d’une seule traite, dans un seul et unique souffle.

Arrivé en bas, la traînée est toujours là bien qu’elle soit maintenant déplacée sur la route. Les voitures ont disparu, les rires également, il n’y a plus que lui et un chemin tracé par des Arlequins. Il tourne sur lui-même, évalue sa solitude et demande s’il ne s’agit pas d’une gigantesque blague. Sans doute ces fêtards se sont cachés pour lui faire peur, pour le faire passer pour un fou. Sans doute ils l’observent, dissimulés derrière les immeubles, rient de sa crédulité, de son air apeuré, de ses lacets non-existants. Même les lampadaires, dans leur grandeur inquiétante, semblent participer à son malheur. La pluie s’arrête, il a désormais extrêmement chaud. Il hurle à la mort, s’accroupit, porte les mains à son visage et, haletant, alors que ses tempes et ses yeux s’humidifient, il s’ordonne de se ressaisir. Il se redresse, fait face aux Arlequins et les suit fiévreusement, animé par une force qui lui est étrangère, quelque chose se trame, et cette chose, il en est certain, cette chose est là pour lui.

Il avance rapidement pendant ce qui lui paraît une éternité, le souffle court, il s’essuie les tempes du revers de sa manche, s’arrête pour souffler, se met à courir, s’arrête et hurle, se met à courir puis se retrouve à son point de départ ; sous la pluie, au pied de l’immeuble dans lequel il était monté une heure plus tôt. Les zombies et les sorcières, les Jokers et les diablesses, tous se pressent une nouvelle fois dans la nuit glaciale et humide et le bousculent, comme s’il n’existait pas. D’un coup c’est le désarroi, les genoux qui flanchent et les oreilles qui sifflent, bientôt les images ne passent plus et laissent place à un épais écran noir. Il titube, arrive à se trainer jusqu’aux petits escaliers qui mènent à l’immeuble maudit et s’assoit.

  • Je suis en train de péter un câble, je deviens fou, je deviens fou, je deviens fou… Oh non, c’est pas vrai, je suis taré, mon Dieu !

 Il lève les yeux et un spectacle des plus effrayants arrive à ses yeux. Lui-même, parmi les fêtards, trébuchant sur le trottoir, comme lui plus tôt dans la nuit. La panique s’empare de lui et il se dit intérieurement qu’il n’aurait sans doute jamais dû sortir de son lit. Il se lève faiblement en apercevant sa propre figure avancer vers lui. Il se prépare déjà à entrer dans un conflit fratricide, à frapper avant d’être touché, à en finir avec le tumulte de cette soirée. Il se met en position d’attaque, murmure un « vas-y, approche, que je te le fasse regretter ». L’autre se presse, et l’homme comprend assez vite que lui non plus, à l’instar des fêtards, ne le voit pas. Comme lui plus tôt, il se précipite à l’intérieur et grimpe les sept étages pour observer les lumières de Paris.

La nuit se fait de plus en plus en plus froide et une lumière drôlement dramatique semble émaner de la lune.

« C’est un rêve, ce n’est rien qu’un un rêve ! » laisse-t-il échapper, dans un sourire – le premier de la soirée – marqué par le soulagement ! Il est vrai que toutes les nuits de cette semaine avaient été sans rêves, que toutes les nuits sans exception il avait rêvé de ce reflet flou et malveillant, que ce reflet le moquait, le pourchassait, le bousculait. Il est également vrai qu’il avait toujours détesté et redouté le soir d’Halloween. Son père était en effet décédé un de ces soirs, par hasard, dans un malheureux accident de voiture. Alors qu’il était enfant, cette fête prit une tournure terriblement morne.

« Allez, il faut se réveiller. » Il bouscule les zombies, les sorcières, les Jokers et les diablesses afin d’arriver sur la route. Il fonce en avant, en direction des voitures et espère que le choc le réveillera aussitôt.

5h du matin. Bourdonnement vrombissant dans les oreilles. Voile noir devant les yeux. Nausée. Le bourdonnement s’évapore, laisse place à un « bip » régulier. Les membres le long du corps, la respiration obstruée.

Il ouvre définitivement les yeux, croit être couché dans ce qui ressemble à une chambre d’hôpital. Un homme à blouse blanche lui tourne le dos, oui, il est bien dans un hôpital. Cet homme se retourne dans un large sourire, un sécateur en main. Cet homme porte son propre visage.

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