ma famille franco marocaine

Dans son pays, il n'y avait pas de travail pour les diplômés. Il lui fallait se nourrir et nourrir sa mère qui l'avait élevé seul, sans se plaindre une seule fois. Elle allait dans les mines pour chercher le charbon chaque matin dès l'aube, après l'accouchement portant Mohamed entouré dans un drap blanc sur ses épaules car elle avait personne pour s'occuper de lui. Le père géniteur, un soldat, était parti avant l'accouchement et n'a jamais plus donné signe de vie.

 

Elle est violente la vie !

 

Tout ce que je sais, c'est les larmes qui ont coulé quand il a dit à sa mère au mois de janvier 1968 :

 

- 'maman, je te respecte. j'ai trouvé du travail.

- bien, mon fils. Où?

- En France. Je gagnerais 1200 francs.

- C'est bien mon fils. Tu as toujours été un battant et studieux.

- j'ai rencontré une femme, maman.

- ah oui ?! Qui est ce ?

- Zineb. Une femme que j'ai croisé plusieurs fois.

- Son nom ?

- Balahcen.

- Comme c'est drôle. Tu as des cousins et cousines très éloignés du nom de Balak et aussi Balahcen originaires de Meknès.

- Elle est de Meknès.

- Ah?! Présentes la moi avant de partir.

- J' hésites à partir Maman. Te laisser seule après tout ce que t'as fait pour moi. Je suis fils unique. J'ai même pas de frère ou de sœur pour rester prêt de toi.

- Vas y mon fils. La France est peut être ta carte chance à saisir pour construire à ton tour ton avenir et ta famille.

- Mais maman, je te laisserais seule.

- Non. Tu sais écrire.

- Mais, tu ne sais pas lire maman.

- Le voisin lira les lettres que tu enverras. Tu sais qu'il y a toujours quelqu'un qui vient me rendre visite en journée, même si je ne vois pas. Je ressens les choses. Si tu es bien là bas, avec ta femme, loin de moi, en France, je serais heureuse mon fils.

- Merci Maman de me donner ta bénédiction.'

Lui, il s'appelle Mohamed.

Et la vie OUI, elle est violente la VIE !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle, première vague..

 

 

Je suis née hier, aujourd'hui et demain.

Brisée dès mon premier souffle et reconstruite par trois hommes, la violence je l'ai connu et elle m'a accompagnée, je ne connais que çà. Pas encore de matricule à la naissance. Juste une place au milieu des autres nouveaux nés à la maternité 'les franciscaines' au cœur de la ville nouvelle de Louis XIV : Versailles.

 

Une fille de couleur issue de l'immigration qui sera la première dans les années 70 a porter le sceau de l'espoir, à la maternité des Franciscaines.Un prénom qui me sera constitué et qui sans le savoir me permettra de tenir debout: AMAL prononcée AMEL.

Un luxe d'avoir cette ville de naissance royale qui va me permettre des facilités dans la vie comme des réactions surprenantes et des incompréhensions.

 

Retour à l'origine.

 

*

 

Premier portail

 

 

Origine du temps: 1974. Un président qui meurt. Giscard à la barre. Un [modéré] qui chante. Un téléphone qui pleure. Victoire de Mohammed Ali. Prémices du fichage avec Roland Moreno qui invente la carte à puce. Le monde ne le sait pas encore: les êtres humains seront utilisés et les biens matériels seront aimés.

 

Le passage à l'orient éternel de Darius Milhaud pape de l'encrage musical dans le monde artistique et d'après-guerre en France, sera le moment pour moi de sortir de la terre mère et du ventre maternel, pour vivre ses évolutions avec l'engagement du prénom qui me sera transmis: 'Amel'. Un prénom féminin porteur du cycle de l"Espoir" en arabe.

 

Une série d'épreuves m'attend pour rencontrer et apprendre à surmonter la violence.

Une succession d'initiation pour apprendre d'où je viens, qui je suis et qui j'aurais envie d'être un jour.

 

Pour tous, au commencement était le Verbe, l'amour et l'échange. Pour moi, le commencement sera l'épreuve de la mort et du souffle amoindri à la naissance. Le passage obligée à l'utérus artificiel de la couveuse sera le lieu protecteur qui me recevra dans la maternité pour terminer mes organes respiratoires. Je serais confronté dès la naissance aux plus grandes difficultés du monde extérieur alors que mon organisme n'y sera pas encore préparé.

 

Comparée régulièrement à une crevette par les aides soignantes, pour ma mère le lien mère-enfant sera invisible et me voir dans un berceau de plexiglas sous les couvertures branchée aux machines de surveillance médicale sera un véritable choc pour elle.

 

Ma fragilité n'aura pas fabriqué ma mère, et cette faiblesse n'aura pas eu la force de créer un lien.

 

André Maurois a dit 'pour toute mère, son enfant est un dieu'. Pour Oummi, je serais l'enfant fruit de l'incompréhension qui ne l'aura pas crée mère . Je serais fille au lieu d'être garçon, déshonorant la descendance de la dynastie du nom de famille de mon père.

 

Je serais fille avec comme premier livre d'images les autres, les infirmières, l'équipe médicale alarmée par mon petit poids fétiche et je serais branchée aux machines et lové dans une couveuse. Mon dieu : déjà confrontée à l'instinct de survie. La réconciliation ne viendra que 40 ans plus tard, après des claques, des drames, des blessures indélébiles avec lesquelles je dois apprendre à vivre.

 

La distance sera là sans l'avoir voulu et j'apprendrais à marcher seule et à grandir dans ma capsule mentale au milieu du chaos dès que je serais libérée du fœtus artificiel.

 

 

*

 

Le [modéré] de l'adoption

 

Mes premiers pas visibles et invisibles à Versailles : la ville d'origine et le portail officiel de la mixité qui accueille le patrimoine humain sans question. Un temple protestant, une église, une synagogue et une mosquée.

 

Immigration, déracinement, mémoire. Mon père et ma mère ont tout quitté. Famille, amis, us et coutumes pour une nouvelle terre : La France. Le pays Melting Pot. Un vrai voyage au pays de l'espoir.

 

Ils ont été apprentis d'un nouveau cycle, d'une nouvelle vie et bâtisseurs du nouveau visage français. Le poids des dégâts de l'après-guerre aura ouvert les frontières pour composer une mosaïque de jeunes immigrés prêt à travailler en usine, dans les mines et dans le bâtiment. Palier à la pénurie de main d’œuvre, trouver sa place et obtenir le sésame de la carte de séjour seront les motivations de leur intégration.

 

Années 70. Giscard d'Estaing légalise le regroupement familial. Et pour aider les nouveaux arrivants en France on créera les logements en foyer SONACOTRA, bulle d'observation, avant de rejoindre la norme sociale en HLM. Des quartiers de mixité ethniques sont inventées, pensées, crées pour gérer un cocon culturel et leur donner un point d'attache et de partage.

 

Pour moi, maillon du peuple 'enfants d'immigrés' venir en France sera le plus cadeau qu'ils m'aient offert du double lien : le lien du sang et le lien du cœur.

Le sang impose des liens. Le [modéré] de l'adoption m'a choisie pour la vie.

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*

 

- Balaye devant ta porte avant de regarder chez le voisin.

- La bave du Crapeau n'atteint pas la blanche colombe.

- La vengeance est un plat qui se mange froid.

- Ne fais pas aux autres ce que tu n'aimerais pas que l'on te fasse .

- Le sage tourne 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler.

- C'est pas à un vieux singe qu'on apprends à faire la grimace.

- N'oublies pas tes origines et tes valeurs.

 

J'ai le droit en plus au rituel tous les soirs de la Constitution française, déclaration des droits de l'homme et du citoyen de mon père fière de les connaître et d'être un ouvrier civilisé et de travailler pour sa famille tous les jours que dieu crée.  Ce ne sont pas les 7 piliers de l'Islam mais les 7 phrases piliers de la sagesse pour traverser sa route le mieux possible dans une célèbre usine de mobilier urbain en tant que serrurier en 1970, quelques mois après avoir posé ses pieds sur le sol qui deviendra sa patrie: La France.

 

Ma mère aura un guide spirituel de transmission: prière à certaines heures, goût de la cuisine et découverte des épices à souhait, des rituels lunaires et des médicaments naturels basés sur les plantes. Retour à la terre et à ses secrets. Parfois, non souvent des silences, des non dits que j'entends dans mon corps de leur tristesse d'avoir abandonné leur famille pour venir dans une terre qui n'était pas la leur. Difficile et compliqué pour eux de gérer à Versailles, quand ils étaient de sortis le week-end, les promenades de brebis égarés qui leur demandaient si ils habitaient bien Versailles, comment des gens de couleur pouvaient payer leur appartement…

 

Mon père propose à ma mère pour la préserver de rester au foyer et de m'élever.

Après plusieurs mois de discussion, des échanges, elle décide de couper la poire en deux.

 

Une femme doit être libre et indépendante.

 

Alors, elle suivra une formation d'assistante maternelle. Elle aura son diplôme et gardera des enfants à la maison la journée pendant que leurs parents vont travailler. Elle s'engage à devenir une main de confiance, et un terrain de garde et d'entretien des enfants qui passeront le pas de sa porte.

 

Rapidement, les parents sont contents et se filent le mot : Zoubida, c'est une super nounou !

 

C'est la révélation pour elle. S'occuper des enfants, c'est devenue sa voie, sa fibre pour tenir.

 

La vie nous donne toujours des chances d'avoir quand on peut d'autres enfants, donc en 1978 un second portail s'ouvre dans la dynastie des berbères avec la flèche 'Siham'. Secrète et mystérieuse, à côté de moi réceptive et rebelle. Puis un troisième portail avec un présent 'Nawal'.

 

Voilà la joie des filles et une rancoeur masquée que le fils promis n'arrive pas. Puis, une dernière et quatrième fille arrive 'Fadila'.

 

Voilà ma vie, ma patrie de coeur et d'âme. Je suis franco-marocaine et fière de ma double culture. Je suis enfant de l'humanité portant les blessures de ses ancêtres, ses parents et qui doit continuer d'avancer malgré tout. Le sourire comme une seconde peau sera ma respiration.

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