Le grand cahier, d'Agota Kristof

‎10-11-2020 17:10

Le grand cahier, d'Agota Kristof

 

Nous… C’est par ce mot que débute « Le grand cahier », un récit à quatre mains que nous livrent Klaus et Lucas, deux jumeaux préadolescents en temps de guerre. Pour échapper aux bombardements qui pilonnent la ville, les garçons sont confiés par leur mère à une vieille femme vivant à la campagne. Cette vieille femme, c’est leur grand-mère, même si les villageois la considèrent davantage comme une sorcière. Chez elle, les deux garçons vont rapidement apprendre à travailler dur, à endurer les coups, à s’adapter surtout, à leur manière, dans cet environnement nouveau et cette vie nouvelle marquée par les conflits et les restrictions.

 

L’histoire se déroule quelque part en Europe de l’est, probablement en Hongrie puisqu’Agota Kristof y est née avant de fuir ce pays vers l’âge de vingt-et-un ans. Elle a écrit ce roman en français, la langue de son exil. Le style est simple et lapidaire. Après tout, ce sont deux enfants qui écrivent dans ce grand cahier. L’école ayant fermé, les jumeaux décident de poursuivre seuls leur éducation. Dans les travaux d’écriture qu’ils s’imposent eux-mêmes, ils décrivent le monde en s’interdisant tout jugement de valeur pour ne rapporter que la crudité des faits. Ils s’imposent aussi des exercices. Exercices d’endurcissement du corps et de l’esprit, de mendicité, de cécité et de surdité… de cruauté même. L’un et l’autre ne font qu’un, ils se suffisent à eux-mêmes, et dans le creuset de cette unicité ils vont se forger un caractère et une identité d’une monstrueuse froideur. Dans ce monde déserté par les émotions et la morale, les deux garçons se feront leur propre éducation, en réalité un reniement de leur humanité. Cette déshumanisation est à l’image de ce que la guerre et le totalitarisme peuvent infliger ; mais ce qui peut paraître intolérable et incompréhensible dans cette histoire, c’est que ce processus est volontaire, mené sur eux-mêmes par deux êtres censés normalement porter l’innocence.

 

« Le grand cahier » est un récit d’une incommensurable froideur qui n’épargne au lecteur aucune déviance ni aucune forme de cruauté. Mais il y a quelque chose d’admirable dans la manière dont cette froideur et cette cruauté sont décrites, qui n’est pas liée à la langue minimaliste, mais à la révélation d’un atavisme peut-être commun à tous, et qui peut pousser les êtres jusqu’aux pires extrémités pour leur épargner la souffrance.

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