« Dès qu’Irène entra par la porte de derrière, elle entendit Gil remonter du sous-sol au pas de charge. Il était dans mon bureau songea-t-elle. Il lisait mon journal rouge. » Irène a deux journaux intimes : un bleu et un rouge. Le bleu pour la vérité, son véritable journal. Le rouge pour manipuler son mari. Elle cache le premier dans un coffre qu’elle loue à l’année à une agence bancaire. Le second reste à la maison, à sa place, dans le tiroir de son bureau que Gil, son mari, a manifestement pris l’habitude d’ouvrir pour se plonger dans les écrits personnels de sa femme... Louise Erdrich trouve là le prétexte idéal pour développer son véritable sujet : l’autopsie minutieuse et absolument fascinante d’un couple en crise, l’effondrement imminent d’une famille. Dans ce portrait féroce et sans concession, l’auteur s’applique à mettre à nu la complexité de ses personnages, les parts d’ombre de chacun lorsqu’ici, parents comme enfants, personne n’est bon ou mauvais, victime ou bien coupable. L’empathie inévitable et immédiate pour cette famille, la tension latente mise en place et la maîtrise de la narration sont telles que l’on se trouve littéralement happé dès les premières pages du roman, jusqu’au final, inattendu et magistral. Louise Erdrich, porte-drapeau emblématique de la littérature amérindienne, signe un roman brillant, porté par une prose lyrique, définitivement convaincant. Le jeu des ombres - Louise Erdrich – Editions Albin Michel