Gros coup de coeur.
Je lis tous les romans d’Elif Shafak, autrice turque (réfugiée à Londres) que j’apprécie particulièrement. Son dernier roman paru en janvier dernier m’a beaucoup touchée.
Ada est une jeune adolescente qui vit à Londres avec son père, biologiste réputé qui s’intéresse particulièrement aux arbres. Sa mère est décédée quelques mois auparavant. La jeune fille se sent particulièrement esseulée et triste en cette fin d’année 2010, son père s’étant replié sur son chagrin et semblant plus s’intéresser au figuier qu’il fait pousser depuis des années.
La jeune fille ne connaît aucun membre de sa lignée maternelle ni de sa lignée paternelle. En effet, ses parents sont nés et ont grandi tous les deux à Chypre. Son père dans une famille grecque catholique, sa mère dans une famille turque musulmane.
» En grandissant, chaque fois qu’elle demandait pourquoi ils n’étaient encore jamais allés à Chypre rencontrer leur famille, ou pourquoi ces cousins ne venaient jamais leur rendre visite en Angleterre, ses parents lui donnaient chacun une foule de bonnes excuses. Ce n’était pas le moment ; ou il y avait trop de travail à faire ou de dépenses à assurer… Lentement un soupçon prit racine en elle : peut-être que le mariage de ses parents n’avait pas obtenu l’accord des deux familles. Dans ce cas, sans doute, elle non plus, produit de ce mariage, n’était pas réellement approuvée. »
A la veille des vacances de Noël, Ada à l’évocation d’un devoir à faire sur l’arbre généalogique ressent un énorme trouble et, sans parvenir à se retenir, pousse un long cri devant toute sa classe.
L’arrivée inattendue de sa tante maternelle et son séjour chez eux va permettre à Ada de découvrir l’histoire de sa famille : le début d’un grand amour entre ses parents, alors adolescents, à l’été 1974, alors que démarre à Chypre une guerre civile qui fera des milliers de morts, disparus et exilés dans les communautés grecques et turques.
Elif Shafak raconte cette histoire d’amour avec une grande sensibilité, nous faisant découvrir l’histoire de Chypre, ravagée par la folie des hommes. J’ai particulièrement apprécié les chapitres où elle donne la parole au figuier qui est un personnage à part entière de ce roman. L’arbre témoigne que la Nature, elle aussi, souffre quand l’harmonie entre tous les êtres vivants disparaît.
» Une chose que j’ai remarquée à l’époque, et jamais oubliée, c’est que les arbres éloignés et apparemment solitaires n’étaient pas aussi touchés que ceux qui vivaient ensemble dans une grande promiscuité. Aujourd’hui, je considère le fanatisme – de tout ordre – comme une maladie virale. Il avance en rampant, scande le temps comme le balancier d’une pendule qui ne s’arrête jamais, s’empare de vous plus vite si vous faites partie d’une unité fermée, homogène. Mieux vaut se tenir à distance de toutes les croyances et les certitudes collectives, c’est ce que je ne cesse de me dire. »
Un grand roman, peut-être le meilleur d’Elif Shafak à ce jour.
Voilà qui donne envie de découvrir l'autrice. Merci beaucoup pour ce bel avis @MAPATOU.