Cher connard_, ça commence fort, sans filtre, comme ces échanges sur les réseaux sociaux, sans nuance, l’insulte brandie comme une arme dans une altercation visant à détruire l’interlocuteur par la violence des propos. La surenchère est à peine probable, on atteint d’emblée un sommet.
La première lettre, Oscar Jakack, l’écrivain a succès se la prend en pleine face, et elle n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des réactions qui ont fait suite aux accusations de harcèlement dont il a fait l’objet. Il a été un peu trop insistant auprès de son attachée de presse, elle en a souffert à plus d’un titre, et il se trouve qu’elle a une notoriété non négligeable sur le net, où elle défend la cause des femmes.
Cette première lettre d’insulte est écrite par une actrice célèbre. Plutôt que d’ignorer le message, l’écrivain lui répond et tente d’amorcer le dialogue. Il en suivra de nombreux échanges, entrecoupés par les interventions de Zoé, la victime.
Le début tonitruant laisse la place à un apaisement progressif des interlocuteurs et à un vrai débat, autour de la question du féminisme, des féminismes, du patriarcat de l’impact de la célébrité sur le comportement, de la drogue (beaucoup) et des difficultés pour en sortir, des dangers des réseaux sociaux, de leur fonctionnement, de tous nos moyens de communication modernes pas toujours très bien maitrisés ou au contraire parfaitement manipulés par des blackblocks du net.
Bien argumentés, bien développés, les thèmes bénéficient de la plume acérée de Virginie Despentes. La forme est bien adaptée au débat, puisque chaque personnage peut librement s’exprimer dans ses messages. On perçoit l’installation d’une écoute et d’un dialogue sincère entre l’actrice et l’écrivain. C’est plus compliqué pour Zoé, qui malgré les excuses réitérées d’Oscar, ne parvient pas à tourner la page.
Beaucoup d’humour, de nombreux clins d’oeil (évocation de personnalités connues), Cher [modéré] se lit avec plaisir, tout en proposant une réflexion sur le statut des femmes et l’évolution des relations entre les sexes.
Roman phare de la rentrée, qui mérite son succès médiatique
352 pages 17 Août Grasset
https://www.cultura.com/p-cher-[modéré]-roman-9782246826514.html
Citations
L'espoir est le seul antidote au désespoir. Or, c'est précisément ce qui nous a été confisqué. La dystopie est devenue l’unique horizon raisonnable. Croire que les choses puissent s'améliorer est une preuve d’idioties.
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Je réponds pardon mais le [modéré] est le seul domaine où les mecs se rendent utile. À la maison, au taf, dans la rue, à part faire [modéré] on ne comprend jamais ce qu'ils fabriquent. Mais au pieu, on peut pas le retirer ça, il y a un il y en a qui font tout ce qu'ils peuvent. J'en connais même qui ont un don pour ça.
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Chère sœur, encore un effort, nous sommes déjà presque aussi connes que des mecs. Le pouvoir en moins. Nous singeons les mêmes assemblées débiles. Les mêmes indignations feintes. La même rage carcérale le même amour de l'autorité. La même passion pour papa nous écoutant et rendant sa justice. Appelons-le maman si vous voulez, et nous serons quittes.
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Le problème avec Internet, c’est que le gens qui t’ont à la bonne ont moins besoin de le crier que ceux qui souhaitent qu’on te pende.
@Kittiwake Merci pour ta chronique. Je lirai ce livre car il fait partie des romans de la rentrée littéraire que je souhaite absolument lire.
@Kittiwake merci pour cette avis.
@Kittiwake et @clo73 : Un livre attendu par de nombreux lecteurs, ce dernier a été mis en avant dans le 12.45 de M6 Lundi.
Je n'avais pas vu passer ce livre ! J'ai très envie de le lire maintenant !
Un livre qui m'intéresse beaucoup @Kittiwake
Une petite astuce pour faire passer un mot [modéré] c'est de mettre un _ devant ou derrière. C'est ce que j'ai fait pour Zizi_ Cabane
Des sujets de société , ô combien sérieux, qui collent à l'actualité, proposés avec une architecture originale sur un ton d'intimité qui donne envie de s'inviter dans le dialogue. Et un échange qui évite - quel bonheur- la polémique .
Un plaisir d'accompagner les acteurs dans leur ballade à idées rompues.
Un vrai de vrai régal : à quand la prochaine dégustation épistolaire concoctée par Virginie DESPENTES ?
Résumé : C'est une suite de lettres entre amis qui se sauvent la vie. Dans ce roman épistolaire, Virginie Despentes revient sur le thème qui unit tous ses livres - comment l'amitié peut naître entre personnes qui n'ont à priori rien à faire ensemble.
Rebecca a dépassé la cinquantaine, elle est actrice, elle est toujours aussi séduisante. Oscar a quarante-trois ans, il est un auteur un peu connu, il écoute du rap en essayant d'écrire un nouveau livre. Ils sont des transfuges de classe que la bourgeoisie n'épate guère. Ils ont l'un comme l'autre grandi et vieilli dans la culture de l'artiste défoncé tourmenté et sont experts en polytoxicomanie, mais pressentent qu'il faudrait changer leurs habitudes. Zoé n'a pas trente ans, elle est féministe, elle ne veut ni oublier ni pardonner, elle ne veut pas se protéger, elle ne veut pas aller bien. Elle est accro aux réseaux sociaux - ça lui prend tout son temps.
Ces trois-là ne sont pas fiables. Ils ont de grandes gueules et sont vulnérables, jusqu'à ce que l'amitié leur tombe dessus et les oblige à baisser les armes.
Il est question de violence des rapports humains, de postures idéologiques auxquelles on s'accroche quand elles échouent depuis longtemps à saisir la réalité, de la rapidité et de l'irréversibilité du changement. Roman de rage et de consolation, de colère et d'acceptation, Cher connard présente une galerie de portraits d'êtres humains condamnés à bricoler comme ils peuvent avec leurs angoisses, leurs névroses, leurs addictions aux conflits de tous ordres, l'héritage de la guerre, leurs complexes, leurs hontes, leurs peurs intimes et finalement - ce moment où l'amitié est plus forte que la faiblesse humaine.
Merci pour votre avis @3Qapat35 et bienvenue sur la communauté.
@CharlotteV est justement en train de lire le livre et partagera bientôt son avis
Merci @3Qapat35 pour cet avis, je me suis permise de déplacer ce message sous le post de @Kittiwake pour que nous puissions échanger nos points de vue sur ce roman. Je suis en effet sur la fin @LeaCultura, coup de cœur en approche !