La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

‎05-11-2020 02:19

La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

La Tombe des Lucioles.jpg

 

Dans notre langue, il est impossible de retranscrire en un mot toute l’élégance et la richesse sémantique de la graphie que Akiyuki Nosaka a utilisée dans le titre de son récit (Hotaru no haka) pour désigner les « lucioles ». Au lieu du kanji (idéogramme) habituel, qui se prononce « hotaru », Nosaka combine deux kanjis et un hiragana (élément syllabaire) qui se prononcent ensemble de la même façon, mais qui signifient littéralement « le feu qui tombe goutte à goutte ». De cet habile artifice, Nosaka évoque ainsi les bombardements incendiaires qui pilonnent et ravagent le Japon impérial en déroute où se déroule l’histoire qu’il s’apprête à raconter.

 

Ce court récit d’une noirceur abyssale ne dissimule rien de sa teneur dramatique puisque son issue est dévoilée dès les premières pages. Il s’agit de l’histoire d’un frère et de sa petite sœur, tous deux rendus orphelins par la guerre, et qui se retrouvent à errer parmi la terreur et la désolation, en proie aux dangers, à la solitude, et à cette faim qui tue. La prose de Nosaka est ronde et pleine, parcourue de spasmes comme un ventre prêt à accoucher. Ses phrases qui n’en finissent plus réussissent à fondre dans le même creuset des descriptions, des perceptions et des impressions tout à la fois sensibles et violentes où s’insèrent même des dialogues émaillés d’argot et de contractions, comme si tout devait finir dans le même magma, frappé d’une même fatalité. La force de caractère de Seita le grand frère, et la candeur de sa petite sœur Setsuko, ne peuvent inspirer que le plus profond désarroi puisque l’on connaît l’issue tragique de leur périple. Malgré cette immense tristesse, Nosaka parvient à éclairer son récit d’une poésie éclatante, par le truchement de ces lucioles capturées pour illuminer une cave, mais surtout grâce à l’amour indéfectible et admirable qui unit ce frère à sa sœur jusqu’à la mort.

 

Ce chef d’œuvre en inspirera un autre, le film d’animation éponyme d’Isao Takahata (« Le Tombeau des Lucioles » en français).

6 Réponses 6
‎12-11-2020 12:28

Re: La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

j'ai lu ce livre après avoir vu l'animé (qui le fait pleurer à chaque fois).

c'est un livre d'une grande intensité qui m'a aussi fait pleurer !

une pépite à mon sens

‎18-11-2020 20:49

Re: La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

@dvall , je viens de découvrir ce livre grâce à vous, je ferai des recherche sur celui-ci car cela m'intrigue, je connaissais le film d'animation si je ne dit pas de bêtise du studio Ghibli, je l'avais vu à plusieurs reprises et à chaque fois il m'avait ému. Je ne connais pas ce livre ni le lien avec l'animé. Vous nous proposé une pépite.


La lecture et les créations sont les meilleurs remèdes contre la morosité.
‎18-11-2020 22:08

Re: La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

Bonsoir @spitfire89, en effet ce film d'animation d'Isao Takahata a bien été produit par les studios Ghibli, qui nous ont donné tant de pépites, il faut le dire. Ce film d'animation est bien adapté du court roman de Nosaka. La noirceur de cette histoire est un peu allégée dans le film d'animation, mais la transposition reste très fidèle. Bonne lecture alors !

‎19-09-2023 13:37

Re: La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

Merci @dvall pour ce retour de lecture, voici le mien en partage. Tout ayant été dit dans votre remarquable chronique, j'ai pour ma part exploité l'avant propos du livre afin de comprendre cette courte nouvelle.

 

Au travers de cette courte nouvelle semi autobiographique, Nosaka Akiyuki semble s’infliger l’expiation en se mettant à mort sous les traits du petit Seita. Il règle là aussi quelques comptes avec sa mémoire, celle des années de l’après-guerre. Orphelin né en 1930 d’une mère qu’il n’a jamais connu, d’un père qu’il ne rencontrera que plus tard et par hasard, Nosaka a vécu la guerre dans sa famille d’adoption à Kôbe. Il a quatorze ans quand il voit tomber du ciel en août 1945 une mort aveugle lâchée comme une manne par un ennemi invisible et hors d’atteinte. Pour l’adolescent pétri d’éducation militaro nationaliste, cette expérience des bombardements dépasse l’horreur. C’est l’effondrement de toutes ses certitudes, celle d’être né pour être soldat, celle d’une guerre où il s’en va l’arme au poing , combattre glorieusement, et si le destin le veut, se sacrifier en héros pour l’Empereur. Devant les bombes c’est une autre réalité qu’il faut apprendre : l’instinct, la fuite-panique, une affreuse impuissance et après les bombes, l’humiliation pour survivre, le chacun pour soi la patrie pour tous, le sentiment d’avoir été trahi. Sentiment qui se brouille chez Nosaka, peut-être d’avoir trahi son destin de victime innocente et de sentir peser sur sa conscience un triple poids : celui d’avoir abandonné sa mère adoptive sous les bombes, d’avoir au lendemain de la défaite, laissé mourir sa sœur de faim au milieu de la dévastation, bref de s’en être finalement bien tiré de ce cauchemar, en y laissant le sien.

Cette nouvelle commence donc le 22 septembre 1945 par le dernier souffle de Seita adossé à l’une des colonnes de la gare à Sannomiya. Un cadavre de petit miséreux sans famille parmi tant d’autres « ramassés » tous les matins. Flash back ensuite sur le tournant dramatique qu’a pris son existence lors du bombardement de Kôbe du 5 août 1945 par une escadre de 350 B29.

 Sa mère mourut de suite de ses brûlures et sa petite sœur Setsuko sur le dos, il part rejoindre des parents à Nishinomiya, chez qui ils furent rapidement indésirables. Ils finirent par se refugier dans une cave et vécurent des larcins de Seita qui visitait les maisons durant les alertes d’attaques aériennes.

Cette nouvelle, adaptée en film d’animation en 1987 montre sans concession aucune le pauvre sort des enfants devenus orphelins lors de bombardements en 1945. Une lecture qui ne peut laisser indifférent.

Nosaka Akiyuki reçut le prix « Naoki », la plus haute distinction couronnant au Japon les auteurs de la littérature dite « populaire » pour cette nouvelle ainsi que pour « Les algues d’Amérique » .

 

Retrouvez ce livre sur Cultura.com 

La tombe des lucioles.jpg

Balises (1)
‎19-09-2023 11:01

Re: La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

Merci à toi pour ces informations contextuelles, @Katili. As-tu lu d’autres écrits de cet auteur ?

‎19-09-2023 11:14

Re: La Tombe des Lucioles, de Akiyuki Nosaka

@dvall , j ai également lu "Les algues d Amérique " la nouvelle qui suivait " La tombe des lucioles ", mais rien de plus de cet auteur particulièrement torturé.

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