La femme des sables
Abé Kôbô
Quel étrange et envoûtant roman que celui-ci, rappelant la philosophie de l’absurde selon Kafka, Sartre ou Camus. On y retrouve des similitudes avec « Le mythe de Sisyphe », où Camus postule que l’acceptation de la défaite devant l’absurdité de la vie est en soi une révolte, et donc une victoire. Dans ce récit (砂の女, Suna no onna), Abé Kôbô explore les affres et tréfonds de la condition humaine, au travers d’une trame narrative aride comme le désert mais d’une généreuse profondeur introspective. Ce pourrait être une histoire déprimante si Abé Kôbô n’allait pas au-delà de l’acceptation de la défaite, et qu’il ne parvenait pas à insuffler, n’en déplaise à Camus, cette lueur d’espoir qui permet de croire au lendemain.
Un maître d’école, entomologiste amateur à ses heures, profite de quelques jours de congés pour aller sur la côte à la recherche de quelque rare insecte des sables à collectionner. Il trouve l’hospitalité dans un modeste village enchâssé dans les dunes, et plus précisément dans une petite maison délabrée habitée par une femme fruste mais serviable. Cette bicoque plantée au fond d’un trou, à l’aplomb de falaises où se déversent quotidiennement des flots de sable, va devenir sa prison. Voilà notre homme pris au piège, telle la proie que la larve du fourmilion attire au fond de son entonnoir de sable. Lui et cette femme, tout aussi bien maîtresse qu’esclave, doivent chaque jour collecter le sable que les villageois remontent ensuite. Quels choix existent-ils face à telle destinée ?
Bien que j’aie parfois éprouvé un peu d’ennui à cette lecture, du fait de certaines longueurs et circonvolutions d’esprit, je ressors avec la certitude que ce roman marquera durablement ma mémoire. Son pouvoir évocateur est particulièrement puissant. On ressent le sable omniprésent, ce sable crissant qui s’infiltre dans chaque interstice. Les dialogues d’une sèche familiarité contrastent avec une architecture syntaxique particulièrement riche et complexe. Les atermoiements et métamorphoses intérieures du personnage principal irritent tout autant qu’intriguent. Et une fois le livre refermé, les pensées restent aspirées dans la recherche des symboles…
La femme des sables : Kobo Abe - 2253059951 - Livres de poche | Cultura