Le Peintre d’éventail
Hubert Haddad
Je découvre Hubert Haddad avec cet émouvant roman à la prose foisonnante et évocatrice. Ce récit, que l’on pourrait qualifier de roman-poème, m’a fait penser par moments aux pérégrinations contemplatives de Sôseki, aux stupeurs ensorcelantes de Kawabata, ou à la sensualité fangeuse de Mishima. Qu’un étranger, même passionné de culture nippone comme l’auteur, puisse capturer avec une telle précision la substantifique moelle de la culture et de l’esthétique japonaises est tout à fait remarquable. La précision de la langue, son extase sensuelle dans la description d’une nature qui passe du sanctuaire au saccage, emmène le lecteur dans des paysages sublimés pour mieux le projeter ensuite dans le fracas d’une douloureuse prise de conscience.
Pour fuir un traumatisme personnel, Matabei décide de s’abstraire du monde en venant se perdre dans une pension de famille tenue par l’élégante Dame Hison. Son histoire nous est racontée par un jeune homme issu de l’immigration taïwanaise, et qui se présente comme son disciple. Dans cet endroit reculé de la contrée d’Atôra, entre océan Pacifique et montagnes boisées, Matabei découvre les pensionnaires réguliers tels que monsieur Ho le négociant en thé, Aé-cha l’éternelle vieille fille coréenne amatrice de poupées, ou ce couple d’amants à la passion manifeste mais discrète. Aux abords de l’auberge se trouve un somptueux jardin gorgé d’essences et d’élégance, savamment entretenu par un vieil homme ayant atteint un rare degré d’invisibilité. Matabei ne tardera pas à découvrir que derrière l’humble jardinier se cache un maître dans l’art du haïku et de la peinture sur éventail, auprès duquel il débutera un long apprentissage de la vie et de la transmission.
Les thèmes de ce roman sont habilement entrelacés, depuis l’observation contemplative d’une nature prodigieuse jusqu’aux ravages telluriques et anthropiques, en passant par le déracinement et la perpétuation des traditions. L’œuvre se déploie comme un diptyque entre harmonie et chaos, recherchant le fragile équilibre qui peut exister entre les deux, interrogeant le rôle qu’une simple vie d’homme peut jouer dans ce théâtre.
Le peintre d'éventail : Hubert Haddad - 2843045975 | Cultura
Il a tout l'air de faire partie de ces romans qui nous happent par le rythme et le style, merci pour cette chronique @dvall !
En effet, @CharlotteV, un style d’une grande précision et très poétique. Le rythme peut paraître lent dans la première moitié du roman, mais qui veut se presser lors d’une promenade dans un jardin où il fait bon méditer ?
Merci pour ce post @dvall. Je ne me suis toujours pas lancée dans la littérature japonaise. Mais tu as l'air de dire que l'auteur, pourtant français d'origine tunisienne, a su retranscrire la culture et l'esthétique japonaises, alors je tente ma chance avec lui...
Je viens de réserver ce roman dans ma médiathèque; je ferai un retour après lecture
Excellente initiative, @soff78, même si l’auteur n’est pas japonais, j’ai trouvé que son style et sa pensée esthétique n’avaient rien à envier à ceux de beaucoup d’auteurs classiques japonais. Hubert Haddad ne trahit aucunement ce que j’apprécie tant en littérature japonaise. Hâte de découvrir ton opinion sur ce roman !
Bonjour @dvall et @CharlotteV
Chose promise, chose dûe, je viens de terminer la lecture de ce roman. Déjà merci à @dvall pour son bon conseil.
Je ne reviendrai pas sur l'histoire qui, finalement, a peu d'importance et reste un prétexte à une ode à la sensibilité. Je garde surtout en tête la quiétude et les bourrasques qui traversent le récit. J'ai été enchantée par les descriptions de la nature et de la faune, parfois splendides, parfois ravagées, et tout est dit avec le mot juste. Le rythme général est lent et paisible, comme une promenade au bord de la rivière ou le travail de la peinture sur éventail.
Je crois que j'ai lu ce roman au bon moment. En effet, je venais de finir un pavé plein de corruption et de violence. Les quelques 180 pages de ce "Peintre sur éventails" m'ont apaisée. Tout n'est pas que contemplation, il y a aussi des personnages aux vies particulières, des déchirures, des retrouvailles. Mais l'ensemble m'a paru hors du temps, comme une parenthèse, et cela m'a fait du bien.
Du coup, sans devenir une fan de littérature japonaise, je reconnais que de temps en temps, et au bon moment, je me relaisserai tenter par un autre roman aussi gracieux. Vous aussi?
Ravi que tu aies apprécié ce roman de Hubert Haddad, @soff78 !