En lisant les premières lignes de ce roman de Franck BOUYSSE, je me dis « Là je suis chez moi ». Je me délecte de ces phrases poétiques, je me régale de cette ambiance rude, je vibre au rythme de cette nature sauvage et je me passionne pour ces personnages rustres mais si vrais, si instinctifs. C’est tout ce que nous avons perdu dans nos vies trop « civilisées », cette liberté des sens, ce plaisir des choses simples, cette supériorité des éléments.
Plateau, c’est la vie d’un hameau sur le Plateau de Millevaches, à la fois ordinaire tant elle suit le cycle des saisons dans une parfaite et inébranlable immuabilité, mais aussi unique par ses mystères, ses secrets enfouis, ses pensées silencieuses.
Virgile est un paysan qui survit vaille que vaille dans un petit hameau du Plateau, avec sa femme malade Judith, son neveu orphelin Georges qu’il a élevé et un voisin Karl, ancien boxeur venu de la ville. Et puis arrive Cory une nièce, battue par son compagnon, qu’il recueille et qui va redonner vie à ce petit monde endormi dans les habitudes.
Il y a cette merveilleuse nature sauvage, omniprésente reine des lieux, décidant de la vie des hommes comme si elle ne faisait que tolérer leur présence.
Il y a cette dureté des personnages, qui savent taire leurs rancœurs et endurer toutes les souffrances parce que c’est inscrit dans des gênes ancestraux.
Il y a aussi la douleur, de la perte, du regret, de la mort mais également le désir, présent, palpable, intense, comme une matière brute qui envahit les sens.
Franck BOUYSSE est un grand écrivain, de la trempe des McCarthy et Faulkner, qui rend honneur à nos derniers espaces sauvages et s’inscrit dans la lignée des grands auteurs de la littérature française.
Superbement poétique et insidieusement terrifiant, Plateau est un grand roman qui m’a procuré un indicible plaisir littéraire.
@dvall @MAPATOU @soff78 N'hésitez pas
Très belle chronique, @IsaPouteau. "Plateau" est le prochain Franck Bouysse que je lirai, et en découvrant votre post, je me dis qu'il se pourrait bien que ce roman se place en tête de mon classement pour cet auteur, ou vienne au moins égaler "Glaise". Vous avez entièrement raison au sujet du style de Franck Bouysse. Il y a du William Faulkner et du Cormac McCarthy dans son verbe, un peu d'Hemingway aussi lorsqu'il met l'emphase sur l'économie de la langue plutôt que sur les élancées poétiques. D'ailleurs, Franck Bouysse est un grand fan de littérature américaine et ça se sent. L'ambiance noire et pesante, la langue imagée, le fardeau du passé mais aussi l'amour des traditions et de la terre, voilà ce qu'on aime chez Bouysse !
Peu d’auteurs contemporains me donnent envie de lire toute leur œuvre. Franck Bouysse en fait partie. J’aime sa prose tellurique et charnelle. Ses phrases se délectent d’images, ses personnages sont façonnés à coups de burin, les paysages sentent la tourbe et la sphaigne en décomposition, les ciels engrossés font peser leur ombre comminatoire sur la terre comme sur les destins de ceux qui l’habitent et la travaillent. Certains lecteurs peuvent être décontenancés par l’abus de figures de style, la volonté de faire tableau, de stimuler perpétuellement les sens et la vision métaphorique, mais moi c’est justement ce qui me séduit dans cette plume. On peut aussi reprocher une structure narrative un peu redondante entre certains romans, mais l’auteur parvient toujours à semer le doute comme l’expectative. Il connaît ses racines, sait ce qui fait vibrer ses fibres intimes, et c’est pour cela qu’il parvient avec tant de sincérité à nous faire aimer les écorchés qu’il dépeint, la nature magnifique mais parfois carnassière qui les enveloppe.
Virgile et sa femme Judith possèdent une ferme sur le plateau de Millevaches. Lui perd la vue, elle la mémoire. Sur cette terre indomptable, ils ont élevé Georges, leur neveu devenu orphelin très jeune. Georges est un homme désormais et il habite une vieille caravane, incapable de mettre le pied dans la maison de ses parents défunts. Virgile est ami avec Karl le voisin, un ancien boxeur dévoré par son passé et ses pulsions, et qui se réfugie dans la religion. Lorsque Virgile demande à Georges d’héberger une jeune femme fuyant un mari bourreau, c’est le destin de tout le hameau qui risque d’être chamboulé. À ce tableau s’ajoutent les secrets coupables ainsi qu’un mystérieux chasseur qui écume le Plateau avec d’insondables intentions…
Si mon empathie pour les personnages a tardé à éclore, une fois le paysage posé c’est avec un intérêt crescendo que j’ai accéléré ma lecture. Si vous avez aimé « Glaise », « Grossir le ciel » ou « Né d’aucune femme », vous apprécierez certainement aussi ce roman. On y retrouve dureté et justesse de ton, éclats lyriques et poids du passé.
Bonjour @dvall
J'apprécie beaucoup votre post sur un des romans de Franck Bouysse que je n'ai pas encore lu. Moi qui ai adoré "Glaise", je crois bien que ce "Plateau" est fait pour moi. Je le note dans ma PAL immédiatement
Merci @soff78. Les structures narratives de ces deux romans présentent des similitudes et on y retrouve le même soin à décrire les paysages et les tourments des personnages. Je pense que vous ne serez pas déçue par "Plateau". Et puis ces couvertures sont belles, n'est-ce pas ?
Elles interpellent, c'est sûr @dvall , et on ne peut pas nier une certaine cohérence.
Franck Bouysse
Judith et Virgile ont élevé Georges, le neveu dont les parents ont disparu dans un accident de voiture. Les travaux de la ferme, la vie rude au coeur du plateau des Millevaches, le temps s’éternise de saison en saison. Jusqu’à l’arrivée de Cory, une jeune femme qui a fui son bourreau de mari. Pour Georges, c’est une déflagration dans la monotonie de sa vie cadrée, qui le protège d’un passé douloureux.
Mais autour d’eux rodent d’inquiétants personnages, un boxeur mystique et un chasseur mystérieux.
Franck Bouysse campe à nouveau un décor très précis, au delà d’une connaissance théorique et artificielle. C’est une immersion totale dans un espace naturel aussi austère que sublime.
Des personnages complexes, qui se cachent derrière des silences qui en disent long, une traque angoissante, tout cela maintient une attention constante, dans un roman à lire d’une traite.
Impressionnée par le réalisme des dialogues et la précision des descriptions, je regrette juste cette découverte tardive.
384 pages Le livre de poche 1er mars 2017
https://www.cultura.com/p-plateau-9782253164173.html
Citations
Tant de fois il a rêvé d'ailleurs au fil des pages froissées de fiévreuses nuits dévalant des jours sans frissons. Tant de fois il a maudit cette vie réflexe, et tant de fois épié un but, sans jamais parvenir à en découvrir un seul susceptible de le porter à la plus misérable forme de bonheur.
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Tout près de là, il s'approche de l'entrée d'une grotte en partie masquée par des broussailles. Y pénètre et dérange quelques chauves-souris suspendues à qui s'en vont plus profondément dans un état d'obscurité. Il écoute le silence gratifiant, devine la forêt d’animalcules dépigmentées des noix leurs pattes sur la poussière humide, se sent accueilli dans ses entrailles floutées d'où souhaite un suc alcalin. Ces profondeurs oisives creusées par une rivière asséchée depuis. Un lieu sans aube ni crépuscule. Un temps sans aiguille.
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La mémoire de Virgile n'en finit pas de piétiner sous la pâle lueur qui lance des photons poudreux, pareil à du pollen expulsé d’une anthère, faisant danser des formes prises au piège dans un mirage. Il retourne au temps de la chair lisse et des gestes maladroits. Des souvenirs se dressent et paradent un court instant sur le carrousel opulent du temps. Puis s’effacent. Cèdent la place à d'autres souvenirs. Désastreux, ceux-la.
Franck Bouysse est un écrivain français né en 1965.
Du même auteur :
Merci pour cette chronique @Kittiwake, je la déplace sous l'avis de @dvall !
Merci pour cet avis, @Kittiwake. J’ai lu beaucoup de Franck Bouysse mais pas encore « Des saisons et une rose ». L’avez-vous lu ?
@dvall C'est un recueil de 4 romans : Plateau Glaise Grossir le ciel et Né d'aucune femme On en parlait justement avec @Kittiwake @CharlotteV @soff78 lors du café littéraire.