@MAPATOU @soff78
Chère Mapatou,
Nous venons de prendre connaissance de vos messages et, comme vous le souhaitez, nous répondons à vos interrogations.
- Concernant la « pâle copie du roman "La couleur des sentiments" de Kathryn Stockett », reconnaissez qu’il y a quand même (au moins) une différence fondamentale, qui ne vous aura certainement pas échappée : il n’y a aucune enquête policière dans « La couleur des sentiments » ! De plus, et c’est encore une différence majeure, il n’y a pas de héros masculin chez Kathryn Stockett. Donc pas non plus d’histoire d’amitié homme-femme. Or ces trois points constituent l’essence de notre roman, vous en conviendrez. En outre, l’héroïne de Kathryn Stockett n’élève pas seule ses enfants, ne vit pas avec son beau-frère, n’apprend pas à lire, à conduire, n’est pas menacée directement par le Ku Klux Klan, etc. etc. Alors oui, notre héroïne est noire et travaille chez des Blancs, mais comme des milliers de femmes noires à l’époque… Et puis Adela est femme de ménage et travaille pour plusieurs employeurs alors que l’héroïne de « La couleur des sentiments » est nourrice et travaille pour une seule employeuse.
- « Tout ce qui concerne les relations d’Adela avec les riches blanches qui l’emploient comme femme de ménage sont calquées sur les anecdotes de "La couleur des sentiments". »
Dans « La couleur des sentiments », Aibileen et Minnie ont une patronne méchante pour l’une, et une patronne gentille pour l’autre. Donc si nos patronnes étaient antipathiques, cela vous faisait penser à ce roman, et si elles étaient sympathiques, cela vous faisait AUSSI penser à ce roman… Nous partions donc perdants dans tous les cas, visiblement.
À partir du moment où nous parlons d’une femme de ménage noire qui travaille chez des Blanches en 1963 dans un État ségrégationniste, il y a ce qu’on appelle des passages obligés. De même que dans tous les romans se déroulant dans des prisons, il y a des scènes de parloir, des personnages de gardiens sadiques, des directeurs rigides, éventuellement des tentatives d’évasion, des scènes à la cantine, dans la cour… Pour autant, on ne peut pas parler de plagiat à chaque nouveau roman dont l’action se situe dans une prison.
Nous ne voyons pas quelles anecdotes sont calquées sur « La couleur des sentiments ». Une amie d’Adela dit à un moment qu’elle ne peut pas utiliser les toilettes de son employeuse. Cela aurait été étrange de ne pas du tout évoquer cet aspect des choses, qui était une réalité… Mais ce qui est au cœur du roman de Kathryn Stockett n’est évoqué qu’au détour d’une réplique dans « Alabama 1963 ». Par ailleurs, les héroïnes de Kathryn Stockett travaillent chacune pour une seule employeuse quand Adela travaille pour quatre employeurs en tout, ce qui nous permet de brosser une galerie de portraits d’employeurs très différents les uns des autres et très différents de ceux de « La couleur des sentiments ». Dans le roman de Kathryn Stockett, personne ne travaille chez une vieille dame farfelue qui reste au lit toute la journée et semble avoir des visions, ni chez une femme qui ne fait que se maquiller et se pomponner du matin au soir, ni chez une maniaque qui préfère faire son ménage elle-même, ni chez un détective alcoolique et bougon qui vit dans une porcherie. Notez aussi que nous avons créé une galerie d’amies haute en couleur autour d’Adela qu’on ne voit pas non plus dans « La couleur des sentiments ».
- « D’ailleurs, il y a un passage où une des amies d’Adela raconte ce que sa cousine a fait à sa patronne pour se venger : une tarte au chocolat avec ses excréments. Est-ce un hommage des auteurs à « La couleur des sentiments » ? Toujours est-il que cela m’a choquée et déçue. »
Évidemment qu’il s’agit d’un clin d’œil au roman de Kathryn Stockett puisque l’amie d’Adela raconte que sa « cousine Minnie », « celle qui vit à Jackson » (la référence est donc limpide !), s’est vengée de sa patronne. Et nous sommes beaucoup plus subtils que vous ne l’écrivez puisqu’à aucun moment, nous ne parlons de « tarte au chocolat avec ses excréments ». Notre personnage se contente d’expliquer que tout ce qu’elle peut dire, « c’est que la vengeance est un plat qui se mange froid ». C’est quand même plus fin ! La majorité des lecteurs a compris et apprécié l’hommage et l’a salué dans nombre de posts. Nous ne comprenons vraiment pas que cela vous ait « choquée et déçue » puisque la référence est totalement assumée !
- Et enfin, concernant la couverture « qui fait très clairement référence à "Sur la route de Madison" », sachez qu’on dénombre aujourd’hui 825 de ces ponts couverts aux États-Unis et qu’on en trouvait encore davantage en 1963. Nous voulions montrer nos deux héros marchant côte à côte sur une route, de dos pour ne pas imposer un physique au lecteur. Et il se trouve qu’Adela et Bud traversent un de ces ponts couverts typiquement américains vers la fin du roman, pont qui existe et se trouve à côté de Birmingham en Alabama, là où se déroule l’action de notre roman. Nous trouvions cette image de nos deux héros, noire et blanc, cheminant côte à côte et traversant ce pont ensemble, forte et symbolique. Sans compter que de cette façon, le lecteur sait immédiatement que l’histoire se déroule aux États-Unis (si vous enlevez le pont, ce n’est plus aussi évident).
Vous ne pouvez pas interdire à tous les romans et à tous les films d’utiliser un pont couvert pour leur couverture ou leur affiche sous prétexte que « Sur la route de Madison » (un très beau film, d’ailleurs) l’a fait il y a presque trente ans. Si on devait s’offusquer à chaque fois qu’une couverture de roman représente un phare, on n’aurait pas fini ! Et vous savez, plusieurs lecteurs nous ont dit que ce pont leur évoquait les romans de Stephen King, qui en plante aussi régulièrement dans ses décors. Est-ce que Robert James Waller, qui a écrit le roman « Sur la route de Madison », s’est demandé s’il avait le droit de parler d’un pont couvert après Stephen King (et bien d’autres) ? Non, bien sûr. Il ne s’est même pas posé la question, et heureusement.
Voilà. Nous espérons avoir répondu aux vôtres.
Bien à vous,
Ludovic Manchette et Christian Niemiec
