« Ce livre n’est pas un guide de voyage ; c’est une élégie. Un tombeau. Ce que vous tenez entre vos mains est une stèle. Une foutue dalle de roc. »
C’est par ces mots qu’Edward Abbey conclut l’avant-propos de « Désert Solitaire », juste avant de citer Neruda, tout comme il citera au fil de ces pages magnifiques de passion et de connaissances, Thoreau, Emerson, Whitman, Blake, Eliot, Shakespeare, Bakounine ou Nietzsche. Car Abbey a l’âme suave du philosophe poète, la pulsion intrépide de l’explorateur, le sang bouillonnant de l’insoumis.
Je n’ai toujours eu qu’une inclination réservée pour les déserts. Mais le désert tel qu’il est immortalisé par Abbey est un endroit d’une richesse monumentale, d’une poésie tout à la fois brutale et délicate. Personne mieux que lui décrit « cette lumière qui n’exista jamais » tandis que l’orage balaie les immensités de grès rougeâtre ou qu’une clarté réfractée par les falaises s’immisce jusqu’au fond d’un canyon édénique. Avec Abbey, nous partons pour de multiples aventures, guidant le troupeau de vaches du vieux Scobie vers des hauteurs plus vertes, oubliant le temps avec l’indolent Newcomb au cours d’une sublime descente du fleuve Colorado, conquérant en solitaire les hauteurs enneigées du mont Tukuhnikivats, ou explorant les hiératiques formations du Dédale avec le facétieux Waterman.
Mais derrière ces échappées contemplatives, il y a toujours « le combat, le fer et les volcans » comme disait Neruda. Derrière la poésie, il y a le pamphlet : contre la politique gouvernementale qui sacrifie les espaces naturels sur l’autel du profit minier et du tourisme industriel (« ces mollusques à roulettes enfermés dans leurs coquilles de métal hermétiques »), contre le déclin terrible des peuples amérindiens, la folie du macadam et des barrages, l’affront fait à la Terre et aux générations futures…
C’est avec admiration et amertume que je referme ce livre dont l’aspect visionnaire résonne comme une prophétie de Cassandre ou de Laocoon.
@dvall Une très belle chronique pour un roman que je ne manquerai pas de lire. Et la couverture est magnifique !
Merci pour cette découverte @dvall ! Décidément les couvertures de Gallmeister sont toutes plus magnifiques les unes que les autres !