Lui est représentant en papier peint et cela fait plus de trente ans qu’il exerce ce métier. Il est intarissable sur les modes qui ont jalonnés sa carrière, le yéyé, le psychédélique, etc. Son métier, il l’exerçait à l’ancienne, des longs trajets en voiture pour se rendre chez des clients de longue date. Il a su se rendre indispensable auprès de ces derniers et ses résultats ont toujours été bons. Il aime tellement ce métier qu’il n’a pas remarqué qu’il s’éloignait de sa famille qui, au fil du temps, n’a plus supporté son errance et ses absences. Mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est Rimbaud. Il a toujours dans sa voiture quand il fait ses tournées, un exemplaire du jeune poète. Il se rend même parfois à Charleville d’où Rimbaud est natif, pour se recueillir sur sa tombe. Au siège on l’appelle « l’ancêtre », on aimerait bien s’en séparer. Elle vient d’arriver dans l’entreprise. Elle est fière d’occuper un poste à responsabilité qui lui permet de bien gagner sa vie. A peine arrivée, on va lui demander de faire ses preuves et de virer « l’ancêtre » qui ne colle plus avec l’image nouvelle que l’on veut insuffler à l’entreprise. Pourtant il est bien meilleur que tous les autres représentants réunis et, de plus, il va certainement demander des grosses indemnités de licenciement. Elle décide alors de le rencontrer. Il y a dans le style de Thierry Beinstingel des nuances de « nouveau roman » à sa manière de vouvoyer et tutoyer ses personnages qui font penser automatiquement à Michel Butor (La modification). Il a une manière d’aborder le conflit social (qu’il avait déjà évoqué dans son roman Retour aux mots sauvages) très originale et du point de vue des deux côtés qui laisse à penser qu’ils ne s’entendront jamais. Les personnages sont dépeints avec justesse, on sent dans chacun d’eux des espoirs d’ascension sociale, d’amélioration du quotidien qui sont, soit inatteignables, soit trop couteux en investissement humain. Thierry Beinstingel est un nouvel auteur de l’écriture sociale à rapprocher d’un François Bon ou d’un Gérard Mordillat. David – Cultura Chambray-Les-Tours Ils désertent - Thierry Beinstingel – Editions Fayard