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" Au jeu des Sept familles, je demande la famille silence. Le grand-père secret. La grand-mère mystère. La mère mutique. Le père motus. La fille bouche cousue. Une seule règle du jeu : pas de questions. "
Elisabeth, la narratrice est prévenue par sa mère que sa grand-mère vit ses derniers instants à l'hôpital, elle se précipite mais le contexte sanitaire du Covid lui interdit de l'approcher. Elle ne quitte pas la salle d'attente de l'hôpital et laisse remonter ses souvenirs, les moments passés auprès de sa grand-mère dans la Maison familiale, des souvenirs de vacances heureuses " Aucune règle, sauf deux : ne pas poser de questions et ne pas monter au grenier. Longtemps, je m'y suis tenue." Une maison dont sa mère a refusé de franchir la porte depuis des années comme elle refuse maintenant de se rendre au chevet de sa mère mourante.
La jeune femme veut comprendre avant qu'il ne soit trop tard, elle veut parler à sa grand-mère de " la boule de nœuds qui l'entrave et de sa mère qui ne sourit plus... qui ne parle plus que sur une scène, pour dire les mots des autres" .
" Urgence des mots quand il est déjà trop tard. Imminence que j'ai toujours crainte sans que la conscience que ce jour arriverait me donne la force de l'anticiper. Courir, fuir, rire, chaque jour passé à privilégier le superficiel par peur de s'écrouler sous le poids de l'essentiel." Consciente des failles de sa mère elle fait tout pour protéger celle qui n'a plus jamais été la même après l'été de ses sept ans quand elle a sombré dans la mélancolie après avoir coupé les ponts avec sa propre mère. Devenue mutique, sa mère, comédienne de profession, joue pour être une autre, réfugiée dans un monde inaccessible. " A huit ans, je me suis retrouvée au milieu, un pied de chaque côté de la frontière, écartelée, une mère à la ville, une grand-mère à la campagne, aussi semblables de visage qu'étrangères de cœur."
L'auteure déroule l'histoire d'une famille complexe, de trois femmes enfermées dans un schéma familial qu'elles reproduisent. Constance Rivière explore finement les non-dits, les silences qui prédominent dans cette famille, le calvaire des parents après la disparition d'un enfant, la douleur et la culpabilité mêlées pour l'entourage, le piège qui se referme sur les enfants qui protègent leur mère au risque de s'oublier.
Dans ce roman la vieille maison familiale est un personnage à part entière, paradis perdu de l'enfance de la mère de la narratrice " Qu'est-ce qu'une maison ? Un lieu à partir duquel structurer nos existences ou un lien qui nous enchaîne ?"
Le style est fluide, la plume élégante et la construction habile centrée sur des années charnière, l'année 1959 où tout s'est joué, puis sur l'année des sept ans d’Élisabeth quand s'est produite la cassure entre sa mère et sa grand-mère.
Constance Rivière situe son histoire dans l'époque contemporaine et souligne ainsi l’inhumanité à laquelle les familles ont dû faire face, empêchées d'accompagner leurs proches en temps de Covid.
Le premier roman de Constance Rivière, "Une fille sans histoire", était déjà très bien maîtrisé mais avec ce deuxième roman elle me semble avoir encore progressé dans son écriture.