Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

‎04-09-2021 14:56

Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

 

https://leslivresdejoelle.blogspot.com/2021/09/au-printemps-des-monstres-de-philippe.html

 

Le 26 mai 1964, Luc Taron, onze ans, s'enfuit de chez lui. Le lendemain on retrouve son corps dans le bois de Verrières près de Palaiseau. Rapidement un homme qui se fait appeler "l'Etrangleur" inonde de lettres délirantes la presse, la police et les parents pendant quarante jours. Il nargue la police, harcèle le père et donne des détails sur la mort de l'enfant qu'il revendique clairement. L'Étrangleur se dénomme lui même " la graine qui pousse au printemps des monstres"  dans un de ses 56 messages. Cette affaire fait la une de ma presse pendant des semaines et captive l'opinion publique.

 

Arrêté le 4 juillet, il avoue avant de se retracter un an plus tard. C'est Lucien Léger, infirmier psychiatrique, un individu sans histoires jusqu'à son arrestation, il sera condamné en 1966 à la réclusion à perpétuité, "sans preuve, sans témoin, sans mobile" et incarcéré quarante et un ans sans cesser de clamer son innocence.

 

Après avoir détaillé l'affaire dans une première partie dénommée "Le fou", Philippe Jaenada s'emploie dans une deuxième partie dénommée "Les monstres" à démontrer que tous les protagonistes qui ont côtoyé Léger dans son camp ou dans l'autre se sont comporté comme des monstres, à l'exception de sa femme. Il va démontrer que rien n'est simple dans cette histoire, qu'il faut se méfier des apparences "Rien dans cette histoire, rien ni personne n'est ce qu'on croit, ce qu'on a cru. Tout - vraiment tout - est en réalité trouble et complexe. Et moche. Et la seule chose à peu près sûre, c'est que Lucien Léger n'a pas tué Luc Taron."  Il souligne des détails écartés, des erreurs, des omissions, des contradictions et soulève des quantités de questions qui restent sans réponse avec la seule quasi-certitude que Léger a été condamné à tort et que son premier avocat Maurice Garçon a vraiment failli.

 

Dans la troisième partie sobrement intitulée "Solange" il retrace le destin de la femme de Léger dont la photo illustre la couverture du roman " heureusement,  il y a Solange." Une fin de roman qui, au travers des nombreuses lettres qu'elle a adressées à son mari, brosse un portrait loin de celui de la malade mentale présentée par les médias extraordinaire. 

Cette construction en trois parties avec des chapitres introduits par quelques extraits de presse judicieusement choisis est très intéressante, la dernière partie est superbe et m'a fait éprouver beaucoup d'empathie pour Solange.

On ne peut que saluer le travail de titan accompli par Philippe Jaenada qui s'est plongé dans des milliers de pages d'archives, qui s'est rendu sur les lieux, s'est imprégné des atmosphères allant jusqu'à loger dans la pièce où Léger a rédigé ses lettres, à se rendre sur les lieux de l'enfance de Solange dans le Beaujolais. 

 

Un roman passionnant où l'ombre de Modiano veille, l'auteur a réussi à me captiver de sorte que mon intérêt n'a que très rarement faibli malgré l'impressionnant nombre de pages. Peu de passages m'ont semblé trop longs, trop détaillés ou redondants et quand cela a été le cas les célèbres digressions de Jaenada ont relancé mon intérêt ! 

Il développe l'histoire de multiples personnages tous plus incroyables les uns que les autres, une détective, des enquêteurs, avocats, le père de la victime, un homme que Léger accuse... Autour de Léger il dépeint un monde de menteurs, tricheurs "Des menteurs, tous détraqués, plus ou moins abîmés". Même si certains détails nous éloignent du sujet principal, le meurtre de Luc Taron, certaines histoires sont souvent savoureuses et certaines vies justifieraient à elles seules un roman entier.

Le style inimitable de Philippe Jaenada est un vrai régal, il parsème son récit de réflexions personnelles et d'anecdotes sur sa santé, ses problèmes de tabagisme, sa famille, multipliant les parenthèses et les parenthèses dans les parenthèses introduisant humour et ironie dans cette histoire dramatique.

Un roman magistral !

Cultura Champagne
6 Réponses 6
‎04-10-2021 17:10

Re: Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

@JG69 Je partage votre enthousiasme pour ce roman et voici ma chronique :

 

Qui sont ces monstres dont Philippe Jaenada nous parle dans cet essai sur l’Affaire du meurtre du petit Luc Taron en mai 1964 ?

Est-ce Lucien Léger, qui s’est présenté comme l’Etrangleur et a revendiqué l’enlèvement du garçon de onze ans par 56 lettres envoyées à la presse ? Non lui, l’apprenti-infirmier, amoureux de la déchirante Solange, sa femme malade, a beau se décrire comme « de la graine qui pousse au printemps des monstres »,  il n’est pour l’auteur qu’un fou idéaliste, amateur de poésie et de musique.

Alors ce sont peut-être ceux qui ont négligé l’enquête policière et empêché le procès en révision de Léger, le maintenant 41 ans en prison sans jamais tenir compte de ses dénégations ? Il faut dire que l’auteur ne les épargne pas, des juges d’instruction aux avocats en passant par les policiers, tous ceux qui sont intervenus dans l’enquête puis dans le procès, en prennent pour leur grade et bien plus encore. Même ses collègues, les journalistes de presse au cœur de l’incroyable médiatisation de l’affaire, n’échappent pas à ses accusations.

Ou bien les vrais monstres, ne sont-ils pas plutôt tous ces menteurs qu’a fréquentés ce jeune illuminé qui s’est accusé du meurtre pendant 40 jours puis l’a réfuté pendant 40 ans. Ces faux-amis, ces anciens collabos, ces militants d’extrême droite, pervers et immoraux qui ont manipulé un jeune homme crédule, obsédé par le respect de la parole donné.

Mais alors, puisque tout le monde avance masqué dans cette affaire, qui a tué cet enfant ?

En opposition à la gravité du sujet, l’humour de Jaenada est un régal et ses saillies incisives, comme ses apartés jubilatoires, n’ont rien à envier à un Desproges ou un Audiard.

Toute la société de l’après-guerre jusqu’aux années soixante-dix est décortiquée par l’auteur et si ce livre constitue une minutieuse enquête sur « un des faits divers les plus mystérieux du XXème siècle », il est également une fantastique peinture sociale d’une France qui se relève de la barbarie, dans la douleur parfois, dans la misère souvent.

Malgré ses 750 pages et de furtives sensations que je n’arriverai jamais au bout, pas une ligne, pas un mot n’a échappé à ma lecture captivée et enthousiaste.

Ce récit passionnant m’a tenue en haleine des jours durant, avec à la fois des larmes dans les yeux et le sourire aux lèvres et il restera un moment mémorable de ma vie de lectrice.

Prix Landerneau des lecteurs 2021 

@clo73 cela te motivera peut-être pour le lire Smiley heureux

‎04-10-2021 17:50

Re: Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

@IsaPouteau Chouette chronique ! 

 Je ne l'ai pas encore commencé mais bientôt. Je verrai à la 100 ème page si j'aurai envie de continuer. Je déteste lire les pavés, il faut donc que j'accroche tout de suite. 

‎07-10-2021 20:39

Re: Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

@IsaPouteau @JG69 merci pour vos retours enthousiastes. J'hésitais à le lire mais la référence à Desproges et Audiard me font pencher du côté du oui. 

‎26-03-2022 19:11

Re: Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

bonjour, je le lirai certainement !

‎27-03-2022 08:47

Re: Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

@kryan Il faut prévoir un peu de temps, c'est un gros livre, mais je trouve qu'il vaut vraiment le coup.

‎27-03-2022 11:37

Re: Au printemps des monstres de Philippe Jaenada - coup de cœur

Merci @IsaPouteau votre enthousiasme pour ce roman donne envie de le découvrir, c'est sûr. Smiley heureux

Catherine / Mrs North lit
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