Un beau jour d’été, dans une clairière baignée de lumière, Madame Trèfle donna naissance à son petit Carolin. À l’heure où le soleil est au plus haut dans le ciel, la jeune pousse déploya ses feuilles à midi pile : de belles feuilles bien vertes et très douces en forme de cœur. Les amis de Madame Trèfle étaient venus la féliciter. Il y avait Marco Coquelicot, Marie Marguerite, Marius Crocus, Maude Guimauve, Brice Narcisse et Juliette Violette... sans oublier les voisines, les voisins et les amis des amis. La foule curieuse et enjouée se pressait pour voir le benjamin de la communauté et lui souhaiter la bienvenue. Les clochettes tintinnabulaient en chœur, bourdons et abeilles battaient des ailes en rythme. Entouré de sa sœur Trinité et de son frère Triolet, Carolin découvrait le monde avec émerveillement bercé par les sons joyeux de la fête qui s’annonçait grandiose.

Mais un drôle de brouhaha commençait à se faire entendre. Des messes basses d’abord. Puis, des chuchotements et finalement, Raymond Chardon qui n’a pas sa langue dans sa poche s’écria : « Regardez le drôle de petit trèfle ! Il a quatre feuilles ! Qu’il est curieux ! ». Passée l’étonnement et les rires parfois moqueurs, chacun y allait de son petit commentaire pour tenter d’expliquer l’étrange phénomène.

Corolle grande ouverte, Maître Tournesol écoutait un peu à l’écart. Il observait cette foule unanime pour dire que le jeune Carolin était un peu bizarre, pas si joli, voir vilain... et la pauvre Madame Trèfle en pleurs, elle qui était si joyeuse au matin, était désormais la plus triste des mamans. « Cette belle journée devait être celle de la félicité. Pas celle des moqueries... » songea Maître Tournesol. Sage et toujours très juste, il décida de prendre la parole pour calmer l’assistance et lui faire entendre raison.

« Mes chers amis, plutôt que voir la différence de Carolin, souhaitez-lui la bienvenue ! Et voyez sa quatrième feuille comme une chance ! Certes, Carolin possède quatre belles feuilles et ses frères et sœurs n’en ont que trois... et pourtant à leurs yeux, point de différence. Savez-vous que notre petit Carolin n’est pas le seul petit trèfle à quatre feuilles ? Mais qu’il fait partie des rares spécimens que la nature nous offre : un sur dix mille ! Oui, vous avez devant vous un petit trèfle exceptionnel qui vous portera chance, si seulement vous arrêtez sur le champ de voir en lui une étrange particularité ! »

Monsieur Tournesol avait haussé un peu le ton et du côté de l’assemblée, on baissait le regard, un peu honteux...

« La différence est partout et nulle part à la fois. La beauté de notre communauté réside dans la différence que chacun porte en lui. Que serait notre clairière si la même fleur ou le même arbre la peuplait par dizaine de copies, toutes identiques ? Quel ennui... ! M. Chardon, aimeriez-vous ne converser qu’avec un chardon tout aussi piquant que vous ? Et vous Monsieur Narcisse, ne seriez-vous pas lassé de ne contempler autour de vous que de pâles copies de vous-même ? Non, bien sûr... Nous avons besoin de la différence de nos semblables pour être heureux les uns avec les autres. Car chacun ici a sa place. »

Monsieur Tournesol en avait fini. Et comme toujours, ses paroles justes avaient fait mouche. Plus personne ne parlait ; tous étaient bien trop penauds après le mauvais accueil réservé à Carolin. Pourtant c’est lui, le petit trèfle, qui brisa le silence. « Bonjour mes amis ! Si on faisait la fête maintenant ? » À ces mots, abeilles, bourdons et papillons battirent des ailes si fort que Lili Pissenlit en perdit quelques poils ! Amis et voisins se précipitèrent enfin vers Carolin et sa maman pour les embrasser, avec des sourires sincères et beaucoup d’amour !