Le Monstre d'Halloween : affaire classée

La rumeur enflait: un meurtre serait commis ce soir durant les fêtes d’Halloween. La petite ville attendait silencieuse, tremblante et persécutée que s'abatte la malédiction. 

 

Une dizaine d’années auparavant, je venais de prendre mes fonctions en tant que plus jeune commissaire de France. L’état-major me qualifiait de surdoué, pourtant, on m’imposa une affectation dans cette petite commune de province, pour, je cite: “me faire un nom et gagner la confiance des hommes sur le terrain”. Je ressentais de la haine envers ces gens qui décidaient de mon destin, m’imposaient leur vision étriquée. En quoi le plus jeune commissaire de France n'aurait-il pas le droit de rejoindre Paris, là où tout pouvait arriver? J’étais en colère mais arborais face à eux l’attitude du “bon fonctionnaire” pour ne pas enterrer mes chances de mutation dans le futur: celui qui ne discute pas et obéit. Les premiers mois furent difficiles, mornes , et ennuyeux et les seules choses qui satisfirent mon orgueil furent les nombreux reportages à la télévision locale et les unes dans la presse: “Commissaire Léonard, le plus jeune commissaire de France, assurera  notre protection.” titrait elle. Mais cela fut de courte durée. Comme j’avais prévu, l’ennui s’installa, se fixa, s’éternisa, comme un mois de janvier infini. 

 

Mais tout bascula quand le premier meurtre eut lieu.  Il m’avait sorti de ma torpeur, du néant de mon existence et, bientôt, j’abandonnai l’idée de rejoindre la capitale. Maintenant, l’affaire hantait ma conscience, m’obsédait jour et nuit.

 

Le premier novembre deux mille dix, la première martyr, une femme d’une trentaine d’années, avait été retrouvé tué dans une vieille usine désaffectée . Encore assommé par la fatigue de la nuit, je me rendis sur les lieux du crime. Mon équipe fut effarée par la mise en scène. Dans une ville comme la leur, on avait rarement ce genre d’affaires et encore moins observé un scénario aussi étrange. La victime était allongée à même le sol, la tête recouverte par un masque de Frankenstein. 

 

Sur sa poitrine nue était écrit avec son sang:

 

“Des bonbons ou un sort?”

 

Nous découvrîmes un autre indice en enlevant le masque, le chiffre six était inscrit sur le front de la victime.

 

Les premiers prélèvements furent effectués mais aucune trace d’un quelconque suspect ne put être mise en évidence. Personne n’avait rien observé et le marginal, qui avait découvert le corps, beaucoup trop marginal pour être suspecté, n’avoua rien d’intéressant. Les reconstitutions et le parcours de la victime ne nous en apprirent pas beaucoup plus. Finalement, l’enquête avait piétinée, s’était enlisée pour finir abandonner: affaire classée.

 

Mais l’histoire ne s’arrêta pas là et le premier novembre deux mille seize, on trouva un autre mort. Cette fois dans une ruelle peu fréquentée de la ville. C’était un homme d’une cinquantaine d’années qui n’avait aucun lien avec l’ancienne victime. De nouveau, le même message était inscrit sur son torse avec son sang. A la place du masque de Frankenstein, de fausses araignées parsemaient son corps. Le mode opératoire rappela immédiatement le crime commis six ans plus tôt, encore présent dans tous les esprits. De la même façon, nous ne retrouvâmes aucun indice nous mettant sur la voie d’un potentiel suspect. Des caméras avaient été installées dans une rue à côté. On inspecta les images. On vit la victime sortir du champ de la caméra avant de disparaître complètement. Le reste de la rue était désert. Une chose était sûre: nous étions face à un professionnel.  

 

Néanmoins, un élément était différent: sur son front, était inscrit le numéro soixante six.

 

“Qu’est ce que ça veut dire commissaire Léonard?” me demanda un de mes lieutenants en voyant cela.

 

J’attendis un moment, sans un mot. Je pensais que mes collègues étaient de piètres enquêteurs. Puis, je pris la parole:

 

“Voilà… Il y a six ans d’écart entre les deux meurtres… Le chiffre six correspond simplement aux nombres d’années entre deux victimes… Le criminel nous avait prévenu, dés le début, qu’il y aurait un second meurtre six ans plus tard! Le prochain meurtre aura lieu la nuit d’Halloween deux mille vingt deux.

 

-Et à la dernière victime portera le numéro six cent soixante six… Le numéro du diable…” déduit le lieutenant, les yeux perdus dans le vide.

 

Ces révélations effroyables furent accompagnées par une découverte du médecin légiste, qui me convoqua urgemment un matin.

 

Il m’avait accueilli dans sa chambre froide, aux dalles blanchâtres et aux casiers gris métallisés. L’homme était grand, efflanqué et arborait un grand sourire remontant jusqu’à ces pommettes saillantes sur sa face allongée. Son sourire en disait long et je fus soudain pris de bouffées de chaleur, je me demandai: qu’allait il m’annoncer?

 

“Je vous ai fait venir ici commissaire Léonard car j’ai trouvé chez la deuxième victime un élément en lien avec la première victime. Comme vous le savez, ils ont tous deux étaient tués par étranglement mais ce n’est pas le plus important. Après différentes analyses poussées et le retour du laboratoire de Paris, je suis en mesure de vous annoncer un nouvel élément sur leur mort et c’est … comment dire… assez troublant…”

 

“Ah oui! Et bien dites enfin! lui répondis-je anxieux, les poings serrés.

 

“Et bien voilà, j’ai réussi à déterminer l’heure exacte de leur mort… Et la précision du tueur fait froid dans le dos… Ils ont été tués à minuit pile, la nuit du trente et un octobre…”

 

La révélation fit grand bruit. Les articles se multipliaient dans la presse nationale, les médias nationaux et même étrangers. Mon commissariat devint la principale attention du pays. Le ministre de l’intérieur nous rendit visite, me serra la main et assura qu’il était à mes côtés si j’avais besoin. Enfin, je recevais les honneurs qui m’étaient dûs.

 

Le trente et un octobre deux mille vingt deux, devant l’absence de suspect potentiel, le préfet prit des mesures drastiques pour éviter un nouveau meurtre.

 

Des moyens exceptionnels furent dépêchés pour assurer la sécurité de la population: des cars entiers d’homme en uniforme entrèrent dans la ville. A chaque coin de rue, les forces de l’ordre patrouillaient et des points de contrôle furent disséminés dans divers rues où des chiens de détection fouillaient les voitures. Les enfants furent priés d’être accompagnés d’adultes tout au long de leur parcours pour récupérer des bonbons. Enfin, on instaura un couvre feu.

 

Ce soir-là, moi et mon équipe avions été mis au repos: le préfet avait jugé bon de nous laisser avec nos familles. J’avais cependant insisté pour être au courant de n’importe quel élément en lien avec l’affaire.

 

A dix neuf heures, les derniers enfants sonnaient à ma porte. Nous leur donnions, avec ma femme les dernières friandises achetées la veille.

 

A vingt heures, nous nous installâmes devant un bon repas accompagné d’amis. Je bus quelques verres de vins qui m’enivrèrent les sens. Autour de moi, tout me paraissait plus lent, et le bruit de mes amis riant à gorge déployée m’agaçait. Je balayai mon regard sur chaque convive, m’arrêtant sur ma femme. Je sentis en moi de la colère, sans pour autant que je sache l’expliquer. Je décidai d’arrêter de boire pour le reste de la soirée. 

 

A vingt-deux heures trente, nos invités nous quittèrent. Je me sentais un peu mieux. Néanmoins, l’excitation montait en moi: un sentiment d’hyper vigilance qui se diffusait dans tout mon corps. Ma femme, le remarquant, me pressa de m’allonger sur le canapé afin de me détendre.

 

Et c’est à vingt trois heures que des choses inhabituelles se produisirent. Alors que nous étions allongés sur le canapé avec mon épouse, somnolente, la sonnette de l’entrée retentit. Je me levai d’un coup. Ma femme me regarda, inquiète:

 

“Tu as entendu?” me dit elle

 

Je hochai la tête de haut en bas.

 

La sonnette retentit une deuxième fois. Au dehors, l’obscurité avait envahi le jardin et s’engouffrait maintenant dans la maison. Je me précipitai vers la porte, silencieux. Je marquai une pause, tendant l'oreille. Autour de moi, il n’y avait aucun bruit. Soudain, une voix s’éleva derrière la porte:

 

“Commissaire, commissaire, ouvrez moi !”

 

Je reconnus la voix d’un des policiers de la brigade, que voulait-il?

 

Lorsque j’entrouvris la porte, une jeune recrue me faisait face, il paraissait agité et après m’avoir témoigné le respect dû à mon rang, m’annonça:

 

“Quelqu’un a refusé le contrôle, il s’est réfugié dans votre propriété, nous sommes en train d’inspecter les lieux.”

 

Effectivement, autour de la maison, cela s’agitait. Les halo des lampes torches perçaient l’obscurité relevant les arbres grands et menaçants. On ratissait les lieux, méticuleusement, fouillait les arbustes, observait les coins, les recoins.

 

“Toutes vos portes, garages et fenêtres sont fermés commissaire?”

 

-Toutes, sauf celle de notre chambre.

 

-Peut-être que nous pourrions inspecter à l'intérieur?

 

-Non, non ce ne sera pas nécessaire.

 

-Je me permets d’insis…

 

-Vraiment, ce ne sera pas nécessaire, il n’y a personne d’autre que moi et ma femme dans cette maison et j’aimerais pouvoir être tranquille avec elle.”

 

J’avais haussé la voix. Je sentais ma mâchoire se contracter et le sang pulsait dans mon cou. Décontenancé, le policier me fixa un moment du regard, s’excusant platement avant de prendre congés. Il revint quarante minutes plus tard, pour m’annoncer qu’il n’avait rien trouvé et que la patrouille retournait au point de contrôle.

 

A vingt trois heures quarante cinq, mon pouls s’accéléra. Je regardais nerveusement dehors: la pluie battait le carreau, assourdissante. Les arbres tendaient leur longs bras tordus vers moi, comme s’ils m’appelaient vers eux. Je souriais, les yeux exorbités, face à la fenêtre. C’était bientôt l’heure. Je restais un moment planté là, ne sachant que faire. Je me retournai vers le canapé et la regardais dormir. Elle était paisible. Je frissonnai.

 

***

 

J’ouvris les yeux. Autour de moi, les ténèbres avaient pris possession de la pièce. Allongée sur le canapé, je me redressais et regardais l’heure sur le micro-ondes. Vingt trois heures cinquante huit. Je cherchais mon mari du regard mais je ne le vis pas. Il était certainement parti se coucher dans la chambre: commissaire est un métier épuisant, surtout en ce moment, pensai-je. Dans la pièce, le pâle halo de la lune émettait une lumière blanchâtre transperçant le noir total. J’observais la froideur des couleurs évanouies de la pièce. Alors, je pensais que rien n'était beau dans l’obscurité. Soudain, j’entendis qu’on marchait à côté de moi. Malgré la nuit, je reconnus mon mari. Il s’arrêta près de la fenêtre, le regard tourné vers le jardin. D’un coup, les douze coups de l’église annonçèrent minuit. Je tremblais sans trop savoir pourquoi.

 

“Mon chéri, tu n’es pas couché?” demandai je

 

Lorsqu’il tourna la tête vers moi, il ne ressemblait pas à celui que je connaissais: mon amour, mon amant, mon ami. Son regard glacial s’était posé sur moi, étrangé et intimidant.  Le plus terrifiant était son sourire: s’étirant jusqu’à ses pommettes, un rictus provenant des tréfonds de l’âme humaine, des enfers. 

 

Brisant le silence, il me demanda:

 

“Des bonbons ou un sort?”

 





 

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