Une si belle journée...

Les gratte-ciels chatouillent le ciel bleu en ce matin de septembre. Il n’est que 8h00 mais le soleil réchauffe déjà les rues bondées de piétons, certains se rendant tout simplement au travail, d’autres allant acheter des pancakes et brownies pour le petit-déjeuner, et d’autres encore promenant leur chien ou foulant les trottoirs pour faire leur jogging. Le ballet incessant des voitures, des bus, des taxis rend la circulation intense. La ville déborde d’énergie comme à son accoutumée, et Elisa est tout excitée à l’idée de commencer ce nouveau travail dans ce grand groupe américain.

 

Deux mois plus tôt, elle avait passé un entretien plus que concluant pour un poste de community manager dans une grande entreprise spécialisée dans le domaine du luxe. Elle venait de terminer de brillantes études en marketing à Paris et tout alors s’était accéléré pour Elisa qui fourmillait de mille projets à la fois.

 

Elisa m’épate jour après jour, je l’admire. Avec elle, le mot ennui n’existe pas. Elle n’a eu aucun mal à quitter la vie parisienne, sa famille et ses amis pour s’installer à New-York. Elle répète sans cesse que Paris n’est qu’à 8h de vol de New-York et que les vols sont nombreux donc à quoi bon se tourmenter. Elle reverrait de toute façon sa famille et ses amis qu’elle aime tant et ce sera l’occasion aussi pour eux de venir aux Etats-Unis. Elle leur servirait de guide et leur ferait découvrir cette ville qui ne s’arrête jamais de vivre. Elle est toujours optimiste.

 

Ce matin de septembre, elle s’est levée assez tôt afin d’être fin prête pour sa rentrée professionnelle, un peu comme une rentrée des classes où se mélangent l’enthousiasme et le stress. Elle s’est acheté à Paris une tenue à la fois sobre et décontractée pour ne pas paraitre trop guindée ni trop cool. Elle ne veut surtout pas manquer cette première fois, ce premier grand pas dans la vraie vie active, ce premier contact avec son patron qui l’a choisie parmi des dizaines d’autres candidats. Il faut dire que le salaire est alléchant pour un début de carrière !

 

Pour ce soir, afin de fêter cette première journée, elle a réservé une table dans un restaurant gastronomique de luxe de la ville. Nous sommes tous les deux impatients de nous retrouver et de partager notre première journée new-yorkaise. Je l’accompagne jusqu’à l’ascenseur. Un bon courage, un au revoir, un dernier baiser et Elisa part pour son nouveau travail.

 

Quant à moi, je me prévois une petite promenade dans Manhattan, notre nouveau quartier. Je ne commence mon nouveau travail, moi aussi, que le lendemain. J’ai donc la journée devant moi.

 

Impressionné par la vue qu’offrent les grandes baies vitrées de notre appartement situé au 32ème étage, je contemple cette effervescence. Je peux apercevoir les deux tours du World Trade Center, là où Elisa travaille désormais. Je trouve tout gigantesque et j’avoue qu’il va me falloir un certain temps d’adaptation avant de m’habituer à cette immensité new-yorkaise.

 

Je viens de recevoir un message d’Elisa accompagné d’une photo d’elle devant ces interminables tours et d’une autre photo d’elle assise à son bureau. Je la trouve si rayonnante, si heureuse, tellement belle que je me suis mis à penser que j’étais l’homme le plus heureux sur Terre.

 

Et puis soudain, un énorme bruit assourdissant met fin à ma rêvasserie. Je lève les yeux, je cherche du regard d’où vient ce bruit et je vois l’horreur…ce premier avion…suivi du deuxième…l’effondrement des deux tours…cette monstrueuse fumée… et mon Elisa…

 

J’inonde sa messagerie de « Réponds-moi stp » comme jamais. J’allume la télévision : toutes les chaines sont en direct sur l’horreur et le mot « attentat » est cité des milliers de fois. Mon sang se glace, je tremble, j’ai du mal à respirer. Pour la toute première fois de ma vie, je me trouve impuissant. Je suis tellement tétanisé par toute cette horreur que je ne sais comment réagir.

 

A-t-elle réussi à sortir ? Est-elle sous les décombres bloquée quelque part ? Est-elle à l’abri avec d’autres personnes ? Fait-elle partie des personnes qui ont trouvé le courage de sauter par les fenêtres ? Attend-elle les Secours ? A-t-elle été prise en charge et se trouve-t-elle déjà dans un hôpital ?  Autant de questions devant lesquelles les réponses que je me donne ne sont qu’une façon de garder l’espoir de la revoir saine et sauve.

 

Finalement, je descends dans l’espoir de la voir arriver, je patiente dehors discutant avec d’autres personnes dans le même cas que moi, toutes plus horrifiées les unes que les autres, je contacte tous les hôpitaux de New-York et même ceux des villes voisines, j’appelle le numéro d’urgence communiqué par les médias, je tente tout ce que je peux faire à mon niveau. Mais en vain…

 

…je fais un bond, je me réveille, les doigts tout fripés comme un vieil homme, dans mon bain devenu froid. Après une dure journée de travail sous une chaleur étouffante, je m’y étais endormi. Comme tous les ans au mois de septembre, à l’approche de ce tristement célèbre anniversaire, le cauchemar me hante à nouveau. Autant autrefois septembre rythmait avec fin des vacances, rentrée scolaire, autant depuis ces attentats, le mois de septembre restera pour moi l’achèvement de mon bonheur.  

 

Je n’ai revu et je ne revois encore mon Elisa que sur cette dernière photo d’elle devant et à l’intérieur de ce qui s’appelait alors le World Trade Center. Son nom figure désormais sur le monument commémoratif érigé à cet effet comme des milliers d’autres noms où chaque année, des milliers de personnes viennent prier et pleurer tous ces hommes et toutes ces femmes morts en innocents. Au nom de quoi peut-on supprimer des vies ?

 

Cela fait 20 ans que je survis, 20 ans que ma vie a perdu tout son sens et 20 ans…c’est aussi l’âge que notre fille aurait eu cette année…

 

Commentaires

Bravo,original et suspense

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